Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5251. — À M.  DAMILAVILLE.
28 mars.

Mon cher frère, vraiment l’aventure de l’Académie est tout à fait singulière ! Mais comment se peut-il faire qu’il n’y ait eu que quatre boules noires[1]. Il faut que mes confrères soient de bien bonnes gens.

Mlle  Clairon ne vient plus à Ferney ; mais si mon frère y vient, je ne regretterai personne, car la philosophie et l’amitié me sont bien plus précieuses que des tragédies. J’ai mandé à mon frère et à l’ange d’Argental que la tragédie d’Olympie, que j’avais donnée à Manheim, était imprimée je ne sais où, et que j’avais été obligé d’en envoyer une copie plus correcte. Mon ange d’Argental veut la faire jouer après Pâques ; il est bien le maître. Il légitimera ce bâtard comme il lui plaira ; mais si on joue la pièce, je crois qu’il serait bon d’en empêcher le débita Paris, avant qu’elle eût été sifflée ou supportée.

Je prie mon frère d’en conférer avec mon ange.

Le livre sur la tolérance, dont il a paru quelques exemplaires en Suisse et à Genève, est intitulé les Lettres toulousaines. Ce livre est d’un bon parpaillot, nommé de Court[2], fils d’un prédicant. Il y a des anecdotes assez curieuses ; mais nous avons craint que ce livre ne fît un peu de tort à la cause des Calas, et l’auteur le supprime de bonne grâce, jusqu’à ce que le parlement toulousain ait envoyé ses procédures et ses motifs.

Quant au Traité véritable de la Tolérance, ce sera un secret entre les adeptes. Il y a des viandes que l’estomac du peuple ne peut pas digérer, et qu’il ne faut servir qu’aux honnêtes gens : c’est une bonne méthode dont tous nos frères devraient user.

Je n’ai point encore vu la lettre de Jean-Jacques à Christophe[3] ; j’ai grand’peur qu’elle ne fasse du mal à la philosophie.

Est-il vrai qu’on a envoyé à M.  le marquis de Pompignan la Relation de son voyage à Fontainebleau[4], et qu’il est résolu d’aller faire rire en personne tout Versailles ? Faites-lui, je vous prie, mes baisemains.

J’embrasse mes frères.

  1. À l’élection de l’abbé de Radonvilliers. Voltaire parle de six boules noires dans la lettre 5253, adressée à Richelieu.
  2. Court de Gébelin.
  3. Voyez page 438.
  4. Voyez cette Relation, tome XXIV, page 461.