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5252. — À MADAME BELOT[1].
28 mars, aux Délices.

Votre drôle de lettre, madame, m’a fait un plaisir que je ne peux vous exprimer. Vous ne pouvez pas dire que vous n’avez pas de quoi faire chanter un aveugle, car je chante vos louanges, et je chante encore celles du roi, qui a récompensé votre mérite. Il me reste environ un œil, qui lira avec grand plaisir l’Histoire des Tudors, quoiqu’il soit en assez mauvais état. Je vous admire de vous appliquer à des ouvrages si solides et si utiles avec un esprit fait pour la gaieté.

Mme  Dupuits, ci-devant Mlle  Corneille, prétend qu’elle vous a vue, et que vous êtes fort belle ; il est étonnant qu’avec cela vous fassiez des livres, et de bons livres. Il faut qu’il n’y ait pas un moment de perdu dans votre vie ; mais il n’appartient pas à un vieil aveugle de vous dire des galanteries. Je me borne à vous féliciter de faire de si bonnes choses et d’être couchée sur l’état des pensions, ce qui est une des meilleures manières de se coucher. Tous les saints dont vous me parlez sont les miens, et je les invoquerais tous pour obtenir une petite part dans votre bienveillance. Je supplie Mme  la veuve B. d’agréer la reconnaissance du laboureur V.


5253. — À M.  LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 30 mars.

J’ai envoyé votre lettre à M. le duc de Villars, à l’instant que je l’ai reçue. Je n’ai pu, monseigneur le duc, la porter moi-même, attendu que les vents et les neiges me poursuivent jusque dans le printemps : c’est un petit inconvénient attaché à la beauté de notre paysage, bordé par quarante lieues de glace. On dit que c’est ce qui me rend quinze-vingts, et que j’aurai des yeux avec les beaux jours ; j’en doute beaucoup, car lorsqu’on est dans la soixante-dixième année, rien ne revient. Je ne parle pas pour les maréchaux de France qui auront leur septante ans comme nous autres chétifs ; nosseigneurs les maréchaux sont d’une meilleure pâte, et je suis sûr que quand vous serez leur doyen, comme vous l’êtes de l’Académie, vous serez le plus

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.