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pose de donner sept cent cinquante millions au lieu de trois cents, pour nous soulager. Faites-moi l’amitié d’envoyer cette lettre à mon ami Marmontel, et qu’ensuite notre Platon revivifie notre Académie.


5321. — À M.  MARMONTEL.
19 juin.

Tout ce que je peux vous dire, mon cher ami, c’est que le droit des gens s’accommode peu de l’infidélité de la poste. On saisit un livre, passe encore ; mais saisir la lettre qui l’accompagne ! se rendre maître du secret des particuliers, comme si nous étions dans une guerre civile ! cela n’est pas dans l’Esprit des lois. Voilà, encore une fois, ce que nous a valu Jean-Jacques avec sa Lettre à Christophe. Ce polisson insolent gâte le métier. Il semble qu’on ne cherche qu’à rendre la philosophie ridicule.

Je n’ai laissé imprimer Olympie qu’en faveur d’une petite note[1] sur les grands prêtres, qu’on aura sans doute retranchée à Paris. Je voudrais vous faire parvenir deux exemplaires d’un Extrait de Jean Meslier[2] ; cet ouvrage m’a toujours frappé. Il est nécessaire qu’il soit connu, et vous pourriez le mettre en bonnes mains. Il faut servir la raison autant qu’on le peut ; c’est notre reine, et elle a encore bien des ennemis à Paris. Elle s’est formé beaucoup de sujets dans le pays où je suis, parce qu’on y a plus le temps de penser. Je tâcherai de vous envoyer Jean Meslier par voie bien sûre.

Manco-Capac[3] est un étrange nom pour un héros de tragédie ; Mahomet est plus sonore. C’est pure malice à vous de ne rien faire pour le théâtre ; on ne peut en parler mieux que vous faites dans votre excellent livre de la Poétique. Je vous dis que vous ferez des tragédies dignes de votre Poétique, quand il vous plaira. Je vous parlais fort au long de votre Poétique[4], dans ma lettre tombée entre les mains des ennemis. Je vous remerciais surtout d’avoir rendu justice à Quinault, dont on n’a pas assez connu le mérite.

Je hais Rousseau, je parle du poëte ; ce malheureux a fini par faire de mauvais vers contre la philosophie. Adieu ; vous ne tomberez jamais dans ce péché infâme, et je vous aimerai toujours.

  1. C’est celle qui est tome VI, page 127.
  2. Tome XXIV, page 293.
  3. C’est le titre d’une tragédie de Leblanc de Guillet, jouée le 13 juin 1763.
  4. Voyez la lettre 5262.