Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/586

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à l’aumône dès qu’elle aurait achevé notre Dictionnaire : cela n’a pas manqué, et le pis de l’affaire, c’est qu’elle emporte huit mille francs à nos pauvres Corneille. Je ne sais si c’est cette aventure qui m’a donné de l’humeur contre Suréna, Agésilas, Pulchérie, et une douzaine de pièces du grand homme dont j’ai l’honneur d’être le commentateur ; je parie qu’il n’y a que moi qui aie lu ces tragédies-là, et je prends la liberté de parier que vous ne les avez jamais lues, ni ne les lirez : cela est impossible. Ah ! que Racine est un grand homme ! Madame l’ambassadrice n’est-elle pas de cet avis-là ? Adieu nos beaux-arts, si les choses continuent comme elles sont. La rage des remontrances et des projets sur les finances a saisi la nation ; nous nous avisons d’être sérieux, et nous nous perdons ; mais nous faisions autrefois de jolies chansons, et à présent nous ne faisons que de mauvais calculs : c’est Arlequin qui veut être philosophe.

Avez-vous entendu parler d’un sénéchal de Forcalquier qui, en mourant, a fait un legs au roi de l’Art de gouverner[1], en trois volumes in-4o ? C’est bien le plus ennuyeux sénéchal que vous ayez jamais vu. Je suis bien las de tous ces gens qui gouvernent les États du fond de leur grenier. Voilà-t-il pas encore un conseiller du roi au parlement[2] qui lui donne sept cent quarante millions tous les ans ! Tâchez, monsieur, d’en avoir le vingtième, ou du moins un pour cent ; cela est encore honnête.

Que Vos Excellences agréent toujours mon respect.


5414. — À M.  DAMILAVILLE.
À Ferney, 21 septembre.

Je me flatte, mon cher frère, que vous avez reçu de la cire du conseil d’État pour M. Mariette, avec quelques pancartes concernant nos malheureuses dîmes. Si M. le duc de Praslin est notre rapporteur, c’est pour nous un très-grand avantage : il connaît les traités sur lesquels notre droit est fondé, et le rapporteur est toujours le maître de l’affaire.

Je conviens que ce vers[3]


En faisant des heureux, un roi l’est à son tour,

  1. La Science du Gouvernement, par G. de Real, mort en 1752, a huit volumes in-4o, publiés de 1751 à 1764.
  2. Roussel de La Tour ; voyez la note 2, page 499.
  3. De Mariamne, acte III, scène iv ; voyez tome II, page 194.