Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/62

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qu’il faut faire est donc que M. d’Argental ait la bonté de me renvoyer l’original, sur lequel on recollera proprement une soixantaine de vers absolument nécessaires ; ensuite Mlle Clairon verra peut-être que le rôle d’Olympie est plus intéressant que celui d’Électre, qu’elle a joué quand Mlle Dumesnil a joué Clytemnestre.

Au reste, j’ai très-peu d’empressement pour donner cette pièce au théâtre : nous allons la jouer à Ferney ; il est juste que je travaille un peu pour mon plaisir et pour celui de Mme Denis. Si je livrais cette pièce aux comédiens, je ne voudrais pas leur abandonner la part d’auteur, comme j’ai fait dans les pièces précédentes. Je voudrais que cette part fût pour Mlle Clairon, Mlle Dumesnil, et Lekain. Mais nous n’en sommes pas là. Il faudrait que je fusse à Paris pour diriger cette pièce, qui est toute d’appareil et de spectacle, et qui d’ailleurs n’est guère du ton ordinaire. Le ridicule est fort à craindre dans tout ce qui est hasardé. Mais il est impossible que j’aille à Paris : ni mon goût, ni mon âge, ni ma santé, ni Corneille, ne le permettent. Je me vois avec douleur privé de la consolation de vous revoir : car vous ne quitterez point le théâtre de Paris pour celui de Ferney. Conservez-moi vos bontés, et soyez sûr que j’en sens tout le prix.


4848. — DU CARDINAL DE BERNIS.
De Montélimart, le 25 février.

J’ai l’honneur de vous renvoyer, mon cher confrère, Cassandre, que le duc de Villars m’a adressé, ainsi que vos remarques sur Cinna. Je crois qu’en revoyant votre tragédie, vous ferez bien de fonder encore davantage l’amour d’Olympie pour Cassandre ; il faut que cet amour soit d’une bonne constitution pour résister à la révélation de tant de crimes. Ainsi, je crois nécessaire d’établir que Cassandre a sauvé la vie à Olympie au péril de la sienne, dans un âge où elle ait pu en conserver la mémoire ; qu’elle se rappelle cet événement avec reconnaissance, qu’elle le raconte à sa mère ; que Cassandre insiste sur ce service, quand il n’a plus d’autres droits à faire valoir, et que tout cela soit peint avec les traits vifs et piquants dont vos poches sont pleines : on pardonnera à Olympie d’aimer un homme à qui elle doit la vie, et de se tuer quand l’honneur lui défend de l’épouser. En un mot, elle sera plus intéressante.

À l’égard de vos remarques sur Cinna, je les adopte toutes ; vous pouviez même pousser la sévérité plus loin : en disant que Cinna « est plutôt un bel ouvrage qu’une belle tragédie[1] », vous avez tout dit. Qu’Auguste par-

  1. Voltaire a dit que « plusieurs gens de lettres regardent Cinna plutôt comme