Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/16

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Il n’y a pas moyen de disputer contre Votre Excellence. Je vous ai promis quelque chose pour le mois d’avril ; eh bien ! attendez donc le mois d’avril[1] : vous m’avouerez que cet argument est assez bon. Si vous avez commandé votre souper pour dix heures, devez-vous gronder votre cuisinier de ce qu’il ne vous fait pas souper à huit ? Cependant je ne désespère pas d’avoir l’honneur de vous donner de petites étrennes[2]. Vous autres ministres, vous êtes discrets, et il y a plaisir de se confier à vous ; il y en aurait bien davantage à vous faire sa cour.

Il est à croire qu’un ambassadeur à Turin a lu le Vicaire savoyard de Jean-Jacques ; et Votre Excellence est trop bien instruite des grands événements de ce monde, pour ignorer que la moitié de la ville de Genève a pris le parti de Jean-Jacques contre le conseil de cette auguste république. On a parlé pendant quelques moments d’avoir recours à la médiation de la France. J’aurais fait alors une belle brigue pour tâcher d’obtenir que vous eussiez daigné venir mettre la paix dans mon voisinage. J’aurais voulu aussi que madame l’ambassadrice partageât ce ministère ; les Genevois, en la voyant, auraient oublié toutes leurs querelles. Je prie Vos Excellences de me conserver toujours leurs bontés, et d’agréer le respect du quinze-vingt V.


5228. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Vic-sur-Aisne, le 7 octobre.

Vous m’accablez d’autorités[3], mon cher confrère, pour me prouver qu’un cardinal ne doit pas rougir de montrer de l’esprit et des grâces ; mais malgré les exemples des rois, et même du gendre du Grand Seigneur, je ne me laisserai point aller à la tentation. Je crois que l’étiquette du sacré-collège est fort contraire à la poésie française : car il me semble que le cardinal du Perron et celui de Richelieu ont fait de fort mauvais vers. Vous savez peut-être que le cardinal de Polignac n’y a pas mieux réussi, et qu’il n’était poëte que dans la langue de Virgile. Il serait plaisant qu’il fut défendu aux princes de l’Église de montrer du talent dans une autre langue que celle des Romains. En général, l’Église tient un rang médiocre sur le Parnasse français : quels vers que ceux de Fénelon ! Ainsi je prends le parti de Mme  de Montague ; je vivrai quatre-vingt-douze ans ; et après ma mort, mes neveux

  1. C’était dans une lettre datée du 13 février ; voyez n° 5190. Il en avait oublié la date lorsqu’il ajournait sa promesse à avril 1764.
  2. L’édition du Théâtre de P. Corneille avec commentaires.
  3. Voyez la lettre du 28 septembre.