Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/180

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son auteur. Il est vrai qu’il est protégé par un ministre[1] ; mais ce ministre, plein d’esprit et de mérite, aime fort la philosophie, et n’aime point du tout les mauvais vers. S’il fut un peu sévère, il y a quelques années, envers l’abbé Morellet[2], il faut lui pardonner. L’article indiscret, inséré dans une brochure, au sujet de Mme la princesse de Robecq, indigna tous les amis de cette dame, qui en effet n’apprit que par cette brochure le danger de mort où elle était. Je suis persuadé que tous nos chers philosophes, en se conduisant bien, en n’affectant point de braver les puissances de ce monde, trouveront toujours beaucoup de protection.

Ce serait assurément grand dommage que nous perdissions Mme de Pompadour ; elle n’a jamais persécuté les gens de lettres, et elle a fait beaucoup de bien à plusieurs. Elle pense comme vous ; et il serait difficile qu’elle fût bien remplacée.

Je me console de n’avoir pu parvenir à voir les fatras de l’archevêque de Paris et de l’abbé de Caveyrac, et je suis honteux de m’être fait une bibliothèque de tout ce qui s’est écrit, depuis deux ans, pour et contre les jésuites. Il vaut bien mieux relire Cicéron, Horace, et Virgile.

Vous aurez incessamment le Corneille commenté ; j’ai pris la liberté de vous en adresser un ballot de quarante-huit exemplaires, dont je vous supplie d’envoyer douze à M. Delaleu ; vous ferez présent des autres à qui il vous plaira ; c’est à vous à distribuer vos faveurs. Il y a des gens de lettres qui ne sont pas assez riches pour acheter cet ouvrage, et qui le recevront de vous bien volontiers gratis. Je vous supplie en grâce d’en faire relier un pour M. Goldoni, d’en donner un exemplaire à M. de La Harpe, un autre à M. Lemierre. Je compte bien que M. Diderot sera le premier qui aura le sien, quoique le fardeau immense dont il est chargé ne lui laisse guère le temps de lire des remarques sur des vers. Les fanatiques de Corneille n’y trouveront peut-être pas leur compte ; mais je fais plus de cas du bon goût que de leur suffrage. J’ai tout examiné sans passion et sans intérêt, j’ai toujours dit ce que j’ai pensé, et je ne connais aucun cas dans lequel il faille dire ce qu’on ne pense point.

Comptez, mon cher frère, que je dis la chose du monde la plus vraie, quand je vous assure de mon très-tendre attachement.

  1. Le duc de Choiseul.
  2. Voyez tome XL, paue 412.