Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envers Fréron et Lefranc de Pompignan, et d’avoir raillé l’abbé Trublet, qui est archidiacre. Il ne voulait pas permettre que je lusse votre Dunciade. Il disait que je retournerais infailliblement à mes premiers péchés si je lisais des ouvrages satiriques. Je fus donc obligé de vous lire à la dérobée. J’ai le bonheur de ne connaître aucun des masques dont vous parlez dans votre poëme. J’ai seulement été affligé de voir votre acharnement contre M. Diderot, qu’on dit être aussi rempli de mérite et de probité que de science, qui ne vous a jamais offensé, et que vous n’avez jamais vu. Je vous parle bien librement ; mais je suis si vieux qu’il faut me pardonner de vous dire tout ce que je pense. Je n’ai plus que ce plaisir-là. Il est triste de voir les gens de lettres se traiter les uns les autres comme les parlements en usent avec les évêques, les jansénistes avec les molinistes, et la moitié du monde avec l’autre. Ce monde-ci n’est qu’un orage continuel : sauve qui peut ! Quand j’étais jeune, je croyais que les lettres rendaient les gens heureux ; je suis bien détrompé ! Il faut absolument que nous demandions tous deux pardon à Dieu, et que nous fassions pénitence. Je consens même d’aller en purgatoire, à condition que Fréron sera damné.


5611. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
4 avril.

Jai vu, mes anges, de fort bons vers de M. de La Harpe[1] sur les talents naturels de Mlle  Dumesnil, et sur les talents acquis de Mlle  Clairon. Je me souviens qu’autrefois cette petite innocente de Gaussin me disait tout doucement : « Allez, allez, Mlle  Clairon sera une grande actrice, mais ne fera jamais pleurer. »

Mais quoi ! est-il possible que Mlle  Clairon ne dise pas


Empêchez-moi surtout de le revoir jamais.

(Olympie, acte III, scène ii.)


d’une manière à se faire claquer, mais claquer pendant un quart d’heure ? On trouve qu’il n’y a pas assez d’amour dans son rôle ; je maintiens, moi, que ce vers vaut toute une églogue. Allez,

  1. C’est la pièce commençant par ce vers :

    Eh bien, de tes talents le triomphe est durable,

    et qui avait été imprimée avec la lettre 5540.