Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/190

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qui, après tout, ne sont que des diablotins ; mais vous avez des torts bien plus grands, et vous sacrifiez sur les hauts lieux[1], ce qui, comme vous le savez, est une abomination devant le Seigneur, du moins si je me souviens encore du livre des Rois et des Paralipomènes, dont vous vous souvenez mieux que moi.

Nous touchons au moment de n’avoir plus de jésuites ; et ce qui m’étonne, c’est que les herbes poussent comme à l’ordinaire, et que le soleil ne s’obscurcit pas. La dernière éclipse même n’a pas été aussi forte que nous nous y attendions. L’univers ne sent pas la perte qu’il va faire (voilà un beau vers de tragédie).

J’ai reçu une lettre charmante de votre ancien disciple[2] ; il me mande que depuis qu’il a fait la paix, il n’est en guerre ni avec les cagots ni avec les jésuites, et qu’il laisse à une nation belliqueuse comme la française le soin de ferrailler envers et contre tous.

Que je confonde, dites-vous, ce maraud de Crevier ? Je m’en garderai bien ; je n’ai pas d’envie d’être au pilori ou exilé. Ah, monsieur Crevier, que je trouve que vous avez raison dans tout ce que vous dites !

Cette Tolérance n’est point encore tolérée, et je ne sais quand elle pourra parvenir à l’être. Il me semble qu’on n’en distribue point encore. Nous attendons le Corneille ; il est entre les mains d’un cuistre nommé Marin, qui doit décider si le public pourra le lire. Il faut rire de cela, ainsi que de tout le reste. Adieu, mon cher confrère.


5613. — À FRÉDÉRIC,
landgrave de hesse-cassel.
7 avril.

Monseigneur, si je suivais les mouvements de mon cœur, j’importunerais plus souvent de mes lettres Votre Altesse sérénissime ; mais que peut un pauvre solitaire, malade, vieux, et mourant, inutile au monde et à lui-même ? Votre Altesse sérénissime me parle de tragédies[3] : donnez-moi de la jeunesse et de la santé, et je vous promets alors deux tragédies par an ; je viendrai moi-même les jouer à Cassel, car j’étais autrefois un assez bon acteur. Rajeunissez aussi Mlle Gaussin, qui n’a rien à faire, et qui sera fort aise de recevoir de vous cette petite faveur. Nous nous mettrons tous les deux à la tête de votre troupe, et nous tâcherons de vous amuser ; mais j’ai bien peur d’aller

  1. IVe livre des Rois, chap. xxi, versets 2 et 3 ; et IIe livre des Paralipomènes, chap. xxxiii, versets 2 et 3.
  2. Cette lettre n’est pas dans les diverses éditions que j’ai vues des Œuvres posthumes de Frédéric II. (B.)
  3. Voyez la lettre 5592.