Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/23

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pénétrée de l’espérance d’une vie à venir. C’était la créance de tous les païens, excepté les épicuriens.

C’est insulter à la raison de se servir de ce passage pour faire accroire aux esprits faibles et ignorants que l’immortalité de l’âme était énoncée dans les lois judaïques. M. Warburton, évêque de Worcester[1], a démontré, dans un très-savant livre[2], que les récompenses et les peines après la vie furent un dogme inconnu aux Juifs pendant plusieurs siècles. De là on conclut évidemment que si Moïse fut instruit de cette opinion si utile à la canaille, il fut bien malavisé de n’en pas faire la base de ses lois ; et s’il n’en fut pas instruit, c’était un ignorant indigne d’être législateur.

Pour peu qu’un homme ait de sens, il doit se rendre à la force de cet argument. S’il veut d’ailleurs lire avec attention l’histoire des Juifs, il verra sans peine que c’est, de tous les peuples, le plus grossier, le plus féroce, le plus fanatique, le plus absurde.

Il y a plus d’absurdité encore à imaginer qu’une secte née dans le sein de ce fanatisme juif est la loi de Dieu et la vérité même ; c’est outrager Dieu, si les hommes peuvent l’outrager. J’espère que mon cher frère fera entendre raison à la personne que l’on a pervertie.

J’oubliais l’article de la Pythonisse[3] : cette histoire n’a rien de commun avec la créance des peines et des récompenses après la mort ; elle est d’ailleurs postérieure à Moïse de plus de six cents ans. Elle est empruntée des peuples voisins des Juifs, qui croyaient à la magie, et qui se vantaient de faire paraître des ombres, sans attacher à ce mot d’ombre une idée précise : on regardait les mânes comme des figures légères ressemblantes aux corps ; enfin la Pythonisse était une étrangère, une misérable devineresse. Mais si elle croyait à l’immortalité de l’âme, elle en savait plus que tous les Juifs de ce temps-là, etc.

Je me flatte que mon cher frère saura bien faire valoir toutes ces raisons. Je l’exhorte à détruire, autant qu’il pourra, la superstition la plus infâme qui ait jamais abruti les hommes et désolé la terre.

J’embrasse tendrement mon cher frère, je m’intéresse à tous ses plaisirs ; mais le plus grand de tous, et en même temps le

  1. Warburton était évêque de Glocester (et non de Worcester.
  2. Divine Légation of Moses.
  3. Voltaire en parle tome XI, page 101.