Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/263

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que nous n’en disons ; mais ce n’est pas pour se distinguer, pour donner le ton, pour être célèbres. Nos auteurs révoltent par leur orgueil, leurs bravades ; et quoique presque tout ce qu’ils disent soit vrai, on est choqué de la manière, qui sent moins la liberté que la licence ; et puis ils tombent souvent dans le paradoxe et dans les sophismes, et c’est mon horreur. Jean-Jacques m’est antipathique, il remettrait tout dans le chaos ; je n’ai rien vu de plus contraire au bon sens que son Émile, rien de plus contraire aux bonnes mœurs que son Héloïse, et de plus ennuyeux et de plus obscur que son Contrat social.

J’aime beaucoup ce que vous dites sur nos historiens : qu’est-ce que l’histoire, si elle n’a pas l’air de la plus grande vérité ? Mais quoique l’esprit philosophique soit bon à tout et partout, je n’aime pas qu’on le fasse trop sentir dans l’histoire : cela peut rendre les faits suspects et faire penser que l’historien les ajuste à ses systèmes.

Convenez, monsieur de Voltaire, que j’abuse bien de l’ordre que vous m’avez donné de vous communiquer toutes mes pensées, et que je suis bien sotte de vous obéir. Je ne sais pas écrire, je n’ai pas l’abondance des mots qui est nécessaire pour bien s’exprimer. Je crois bien que cela peut venir du peu de force et de profondeur de mes idées, qui tiennent de ma complexion, qui est fort faible, et sur laquelle les bonnes ou mauvaises digestions font un très-grand effet, et font que je suis affectée tout différemment d’un jour à l’autre.

Oui, si vous étiez ici, vous seriez mon directeur ; je ne trouve que vous qui soyez digne de l’être, parce que je ne trouve que vous qui touchiez toujours droit au but ; tous les autres sont en deçà ou par delà.

À propos, il y a, à ce qu’on dit, dans votre dernière lettre, deux lignes de votre main ; voilà donc comme vous êtes aveugle ! Je suis ravie que vous ne soyez point mon confrère, et qu’aucune lumière ne vous soit refusée. Communiquez-moi toutes celles dont je suis susceptible, et ne m’abandonnez point dans le chaos où je suis condamnée.


5688. — DE MADAME LA MARGRAVE DE BADE-DOURLACH.
À Carlsruhe, le 26 juin.

Monsieur, le peu de moments que je vis, M. Mallet, joint au titre d’être de vos amis, me fit bien désirer de le voir repasser chez nous, et prendre ma réponse. Je m’en flattais même si bien, que je la remis à ce moment, mais le sachant maintenant de retour à Genève, je ne perds plus un instant à vous remercier de la lettre du monde la plus flatteuse et la plus obligeante qu’il vous a plu m’écrire[1]. Vous connaissez trop, monsieur, mon estime et mon admiration pour vous, pour ne point être persuadé que tous mes vœux ne tendent qu’à vous revoir, vous entendre, vous admirer, et vous prouver ma parfaite considération. Vous ne m’en dites plus rien, monsieur ; voulez-vous

  1. C’est la lettre 5605.