Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/324

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ai-je pu parvenir à en attraper un exemplaire. On dit que frère Damilaville en a quatre, et qu’il y en a un pour vous. Je suis consolé quand je vois que cette abominable production ne tombe qu’en si bonnes mains. Qui est plus capable que vous de réfuter en deux mots tous ces vains sophismes ? Vous en direz au moins votre avis avec cette force et cette énergie que vous mettez dans vos raisonnements et dans vos bons mots ; et si vous ne daignez pas écrire en faveur de la bonne cause, du moins vous écraserez la mauvaise en disant ce que vous pensez. Votre conversation vaut au moins tous les écrits des saints Pères. En vérité le cœur saigne quand on voit les progrès des mécréants. Figurez-vous que neuf ou dix prétendus philosophes, qui à peine se connaissent, vinrent ces jours passés souper chez moi. L’un d’eux, en regardant la compagnie, dit : « Messieurs, je crois que le Christ se trouvera mal de cette séance. » Ils saisirent tous ce texte. Je les prenais pour des conseillers du prétoire de Pilate ; et cette scène se passait devant un jésuite, à la porte de Calvin ! Je vous avoue que les cheveux me dressaient à la tête. J’eus beau leur représenter les prophéties accomplies, les miracles opérés, et les raisons convaincantes d’Augustin, de l’abbé Houteville, et du Père Garasse, on me traita d’imbécile. Enfin la perversité est venue au point qu’il y a dans Genève une assemblée qu’ils appellent cercle, où l’on ne reçoit pas un seul homme qui croie en Christ ; et quand ils en voient passer un, ils font des exclamations à la fenêtre, comme les petits enfants quand ils voient un capucin pour la première fois. J’ai le cœur serré en vous mandant ces horreurs : elles enflammeront peut-être votre zèle ; mais vous aimez mieux rire que sévir. Conservez-moi votre amitié, elle me servira à finir doucement ma carrière. Je me flatte que votre d’Argenson, mon contemporain, est mort avec componction et avec extrême-onction. C’est là un des grands agréments de ceux qui ont le bonheur de mourir chez vous ; on ne leur épargne, Dieu merci, aucune des consolations qui rendent la mort si aimable. Toutes ces choses-là sont si sages qu’on les croirait inventées par des Welches, s’ils avaient jamais inventé quelque chose. Vale. Je vous conjure de crier que je n’ai nulle part au Portatif.


5757. — À M. DAMILAVILLE.
7 septembre.

Mon cher frère, ne donnerez-vous pas un de ces quatre volumes diaboliques à frère Protagoras ? Il me semble qu’il n’a pas