Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/345

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beaucoup de mal. Elle m’a attribué ce livre auprès du roi, et cela trouble ma vieillesse, qui devrait être tranquille. La nature nous fait déjà assez de mal, sans que les hommes nous en fassent encore.

Cette vie est un combat perpétuel ; et la philosophie est le seul emplâtre qu’on puisse mettre sur les blessures qu’on reçoit de tous côtés : elle ne guérit pas, mais elle console, et c’est beaucoup.

Il y a encore un autre secret, c’est de lire les gazettes. Quand on voit, par exemple, que le prince Ivan a été empereur à l’âge d’un an, qu’il a été vingt-quatre ans en prison, et qu’au bout de ce temps il est mort de huit coups de poignard, la philosophie trouve là de très-bonnes réflexions à faire, et elle nous dit alors que nous devons être heureux de tous les maux qui ne nous arrivent pas, comme la maîtresse de l’avare est riche de ce qu’elle ne dépense point.

Je cherche encore un autre secret, c’est celui de digérer. Vous voyez, madame, que je me bats les flancs pour trouver la façon d’être le moins malheureux qu’il me soit possible : car, pour le mot d’heureux, il ne me paraît guère fait que pour les romans. Je souhaiterais passionnément que ce mot vous convînt.

Il y a peut-être un état assez agréable dans le monde, c’est celui d’imbécile ; mais il n’y a pas moyen de vous proposer cette manière d’être : vous êtes trop éloignée de cette espèce de félicité. C’est une chose assez plaisante qu’aucune personne d’esprit ne voudrait d’un bonheur fondé sur la sottise ; il est clair pourtant qu’on ferait un très-bon marché.

Faites donc comme vous pourrez, madame, avec vos lumières, avec votre belle imagination, et votre bon goût ; et quand vous n’aurez rien à faire, mandez-moi si tout cela contribue à vous faire mieux supporter le fardeau de la vie.


5780. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, ce 4 octobre.

Vous ne voulez donc pas absolument, mon cher maître, être l’auteur de cette abomination alphahétique qui court le monde, au grand scandale des Garasses de notre siècle ? Vous avez assurément bien raison de ne vouloir pas être soupçonné de cette production d’enfer ; et je ne vois pas d’ailleurs sur quel fondement on pourrait vous l’imputer. Il est évident, comme vous dites, que l’ouvrage est de différentes mains ; pour moi, j’en ai reconnu au moins quatre, celles de Belzébuth, d’Astaroth, de Lucifer, et d’Asmodée ;