Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/362

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qu’il y en a peu d’exemplaires à Paris, et qu’ils ne sont guère qu’entre les mains des adeptes. J’ai empêché jusqu’ici qu’il n’en entrât davantage, et qu’on ne le réimprimât à Rouen ; mais je ne pourrai pas l’empêcher toujours. On le réimprime en Hollande. Vous me demandez pourquoi je m’inquiète tant sur un livre auquel je n’ai nulle part : c’est qu’on me l’attribue ; c’est que, par ordre du roi, le procureur général prépare actuellement un réquisitoire ; c’est qu’à l’âge de soixante-onze ans, malade, et presque aveugle, je suis prêt à essuyer la persécution la plus violente ; c’est qu’enfin je ne veux pas mourir martyr d’un livre que je n’ai pas fait. J’ai la preuve en main que M. Polier, premier pasteur de Lausanne, est l’auteur de l’article Messie ; ainsi c’est la pure vérité que ce livre est de plusieurs mains, et que c’est un recueil fait par un libraire ignorant.

Par quelle cruauté a-t-on fait courir sous mon nom, dans Paris, quelques lignes de cet ouvrage ? Enfin, mon cher maître, je vous remercie tendrement d’élever votre belle voix contre celle des méchants. Je vous avertis que je serai très-fâché de mourir sans vous revoir.

N B. Un abbé d’Étrée[1], jadis confrère de Fréron, a donné un Portatif au procureur général.


5794. — À M.  DAMILAVILLE[2].
19 octobre 1764.

Mon cher frère, je sais, à n’en pouvoir douter, que le procureur général a ordre d’examiner le livre et d’en poursuivre la condamnation. Je sais bien qu’il est prouvé que je n’en suis pas l’auteur ; mais je n’en serai pas moins persécuté, et Dieu sait jusqu’où cette persécution peut aller. J’ai heureusement recouvré deux articles, dont l’un est tout entier de la main de l’auteur. Il est clair comme le jour que l’ouvrage est de plusieurs mains, et qu’on s’est servi de mon orthographe pour me l’attribuer, N’importe, mon innocence ne me servira de rien. C’est toujours pour moi une consolation bien chère que vous me rendiez justice, et que la voix de nos frères se joigne à la vôtre pour publier la vérité. Je subis le sort de tous ceux qui se sont consacrés aux lettres : on les a opprimés, mais tous n’ont pas trouvé un frère tel que vous.

  1. Voyez tome XXVI, page 136.
  2. Éditeurs, Bavoux et François.