Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/392

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morale était une chose divine, et que la Somme de saint Thomas était ridicule. Le scélérat ajoutait que les dogmes avaient amené la discorde sur la terre, et que la morale amènerait la paix : je vous avoue que j’eus peine à me contenir eb entendant ces blasphèmes. Je n’aurais pas manqué de le déférer au consistoire de Genève, si j’avais été dans le territoire immense de cette fameuse république.

Un homme aussi intolérant que moi ne souffre pas une telle hardiesse, qui serait capable, à la fin, de porter les hommes à se pardonner les uns les autres leurs sottises. Ce serait porter l’abomination de la désolation[1] dans le lieu saint.

Je crains bien, monsieur, que dans le fond vous ne soyez entiché de cette horrible doctrine : en ce cas, je romprai avec vous tout net ; cependant je vous aime de tout mon cœur.


5827. — À M. DAMILAVILLE.
23 novembre.

Les hommes seraient trop heureux, mon cher frère, s’ils n’avaient à combattre que des erreurs semblables à celle qui impute au cardinal de Richelieu un très-ennuyeux et très-détestable testament. Je ne crois pas qu’on ait jamais débité une morale plus pernicieuse, ni proposé de plus extravagants systèmes.

M. Marie s’est chargé de faire imprimer, avec permission, ma réponse à M. de Foncemagne[2], réponse que je crois polie et honnête. Si quelque considération particulière dont je ne puis avoir connaissance l’empêchait de faire sur cela ce qu’il m’a promis, je vous serais, en ce cas, très-obligé de donner à Merlin l’exemplaire corrigé que je vous fais tenir ; et je crois que M. Marin y donnerait volontiers son aveu. On ne pourrait lui reprocher d’être éditeur ; il n’aurait fait que ce que sa place exige de lui. Il me semble nécessaire que l’ouvrage paraisse : je suis dans le cas d’une défense légitime ; il ne serait pas bien à moi d’abandonner sur la fin de ma vie une opinion que j’ai soutenue pendant trente années. Je vous jure que je me rétracterais publiquement si on me donnait de bonnes raisons ; mais il me semble qu’on en est bien loin.

  1. Daniel, ix, 27.
  2. Les Doutes nouveaux.