Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/398

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pour la conduire chez nous ; mais je ne lui conseille pas d’aller en litière. Le chemin de Lyon à Genève est actuellement un des plus beaux du royaume ; et il faut toujours choisir les routes les plus fréquentées et les plus longues, parce qu’on y trouve toujours plus de ressources et plus de secours dans les accidents. Nous ne nous flattons pas de vous donner la comédie ; il est trop difficile de trouver des acteurs.

Pour moi, j’ai fait comme Sarrazin[1] ; j’ai demandé mon congé dès que j’ai eu soixante et dix ans.

Si mes fluxions sur les yeux continuent, je deviendrai bientôt aveugle, et je ne pourrai jouer que le rôle de Tirésie. Nous avons un jésuite qui peut fort bien jouer le rôle de grand prêtre dans l’occasion ; mais cela composerait, ce me semble, une troupe assez lugubre.

Il faudra, je crois, se réduire aux plaisirs simples de la société. Genève n’en fournit guère ; nous les trouverons dans nous-mêmes. Vous serez contents de M. Dupuits et de sa petite femme. Il a très-bien fait de l’épouser. S’il avait eu le malheur de n’être pas réformé, il était ruiné sans ressource ; ses tuteurs avaient bouleversé toute sa petite fortune.

Si vous comptez aller en Languedoc, vous abrégerez beaucoup votre chemin en passant par Lyon, et nous irons au-devant de Mme de Florian. J’espère que je serai en état de la mieux recevoir qu’à son premier voyage. Mes affaires ont été un peu dérangées depuis quelque temps ; mais je me flatte qu’elles seront incessamment rétablies avec des avantages nouveaux.

Je vois avec grand plaisir que vous avez embelli Hornoy. Je répète toujours qu’on n’est véritablement bien que chez soi ; et que quand on sait se préserver un peu du poison mortel de l’ennui, on se trouve bien plus à son aise dans son château que dans le tumulte de Paris et dans le misérable usage de passer une partie de son temps dans les rues, de sortir pour ne rien faire, et de parler pour ne rien dire. Cette vie doit être insupporrable pour quiconque a quarante ans passés.

Tout Ferney fait mille tendres compliments à tout Hornoy. Autrefois les seigneurs châtelains de Picardie n’allaient guère voir les seigneurs châtelains du pays des Allobroges ; mais à présent que la société est perfectionnée, on peut sans risque faire de ces longs voyages. Vous serez attendus avec impatience, et reçus avec transport.

  1. Voyez la note, tome XXXIV, page 40.