Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/408

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Il est très-bon qu’on se soit défait des jésuites, mais il ne faut pas aussi persécuter la raison, dans la crainte chimérique d’essuyer des reproches d’avoir sacrifié les jésuites à l’introduction de la raison en France. La fureur d’écraser les jésuites d’une main et la philosophie de l’autre n’est plus l’ouvrage de la justice ; c’est celui d’un parti violent, également ennemi des jésuites et des gens raisonnables.

Je sais tout ce que les oméristes projettent, et je crois même qu’ils iront plus loin que vous ne dites ; mais celui que ces monstres persécutent est et sera à l’abri de leurs coups. Un voyageur s’est chargé, mon cher frère, de vous apporter, dans huit ou dix jours, deux petits recueils assez curieux, et on trouvera le moyen de vous en faire avoir d’autres ; mais il faut attendre quelque temps. La raison est une étoffe étrangère et défendue qui ne peut entrer que par contrebande. Je me servirais de la voie que vous m’indiquez si le paquet n’était entre les mains d’un médecin anglais que vous verrez incessamment à Paris.

Vous savez que l’abbé de Condillac, un de nos frères, est mort de la petite vérole naturelle[1], immédiatement après que l’Esculape de Genève avait donné des lettres de vie au prince de Parme en l’inoculant. Vous remarquerez qu’il y avait alors une épidémie mortelle de petite vérole en Italie ; elle y est très-fréquente ; la mère du prince en était morte. Quelle terrible réponse aux sottises de votre Faculté et au réquisitoire d’Omer ! Ce malheureux veut-il donc que la famille royale périsse ! L’abbé de Condillac revenait en France avec une pension de dix mille livres, et l’assurance d’une grosse abbaye ; il allait jouir du repos et de la fortune ; il meurt, et Omer est en vie ! Je connais un impie qui trouve en cette occasion la Providence en défaut.

Je voulais écrire à Archimède-Protagoras tout ce que je vous mande, mais je ne me porte pas assez bien pour dicter deux lettres de suite. Trouvez bon que celle-ci soit pour vous et pour lui. Dites-lui qu’il sera servi avec le plus profond secret. Vous n’avez qu’à m’envoyer incessamment l’histoire de la décadence, et sur-le-champ on travaillera.

Je prie instamment tous les frères de bien crier, dans l’occasion, que le Portatif[2] est d’une société de gens de lettres ; c’est sous ce titre qu’il vient d’être imprimé en Hollande. Je prie le

  1. Voyez la note 4 de la page 396.
  2. Le Dictionnaire philosophique portatif.