Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/437

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prolonger les jours des jolies femmes. Sa perte doit être bien sensible à M. le premier président de La Marche, et à son beau-père, qui a le cœur tendre. Je vous prie de ne me pas oublier quand vous lui écrirez. L’état où je suis ne me permet guère de l’importuner de mes lettres. Si j’avais eu de la santé, je serais certainement venu vous voir, et j’aurais passé quelques jours à la Marche ; plus il avancera en âge, plus il aimera sa retraite ; je me souviens de quatre vers à ce propos :


Dieu fit la douce illusion
Pour les heureux fous du bel âge ;
Pour les vieux fous l’ambition,
Et la retraite pour le sage.


Cela ne veut pas dire que je suis sage, je ne le suis qu’en préférant votre société à toutes les retraites du monde. Conservez-moi vos bontés, et comptez que je vous serai tendrement attaché tout le peu de temps que j’ai à vivre.

Votre très-humble obéissant serviteur. V.


5871. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[1].
Au château de Ferney, 6 janvier 1765.

Un pauvre quinze-vingt, monsieur, a encore un gosier, quoiqu’il soit privé des yeux. Les dames qui vivent avec moi ne sont pas dignes de votre vin. Elles disent que le bourgogne est trop vif pour elles ; mais moi, dont la vieillesse a besoin d’être réchauffée, j’ai recours à vos bontés ; et je vous supplie de vouloir bien rendre un arrêt par lequel il sera ordonné à un de vos gens de m’envoyer cent bouteilles, en deux paniers, du meilleur vin qu’un aveugle puisse boire ; peut-être même cela me rendra-t-il la vue, car on dit que ce sont nos montagnes de glace qui m’ont réduit à ce bel état, et que les contraires se guérissent par les contraires. Je vous avoue que je serais fâché de perdre absolument les deux yeux, qui ne pourraient plus voir Mme  Le Bault, par la même raison qu’il me serait dur de perdre les deux oreilles, qui ne pourraient plus entendre ni vous ni elle. Je me suis toujours bercé de l’espérance de venir vous faire ma cour à tous deux à Dijon, mais

  1. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Dictée à un secrétaire, signée par Voltaire.