Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/505

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Encore ce petit passe-port, je vous en conjure, et puis plus ; vous me ferez un plaisir bien sensible ; vous ne vous lassez jamais d’en faire.


5948. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[1].
Mars.

Mon cher Esculape, voici une lettre de mon philosophe Damilaville. Si vous avez la bonté et le temps de faire un petit mot de réponse, je vous supplierai de me l’adresser. Félicitons-nous tous deux de vivre dans un siècle où il se trouve cinquante maîtres des requêtes qui députent au roi pour le supplier d’abolir à jamais la fête dans laquelle la ville de Toulouse remerciait Dieu d’avoir égorgé autrefois trois ou quatre mille de leurs frères. Il y a longtemps que je n’ai goûté une joie si pure.


5949. — À M.  BERTRAND.
À Ferney, 19 mars.

Mon cher philosophe, vous n’êtes point de ces philosophes insensibles qui cherchent froidement des vérités ; votre philosophie est tendre et compatissante. On a été très-bien informé à Berne du jugement souverain en faveur des Calas ; mais j’ai reconnu à certains traits votre amitié pour moi. Vous avez trouvé le secret d’augmenter la joie pure que cet heureux événement m’a fait ressentir. Je ne sais point encore si le roi a accordé une pension à la veuve et aux enfants, et s’ils exigeront des dépens, dommages et intérêts, de ce scélérat de David, qui se meurt. Le public sera bientôt instruit sur ces articles comme sur le reste. Voilà un événement qui semblerait devoir faire espérer une tolérance universelle ; cependant on ne l’obtiendra pas sitôt : les hommes ne sont pas encore assez sages. Ils ne savent pas qu’il faut séparer toute espèce de religion de toute espèce de gouvernement ; que la religion ne doit pas plus être une affaire d’État que la manière de faire la cuisine ; qu’il doit être permis de prier Dieu à sa mode, comme de manger suivant son goût ; et que, pourvu qu’on soit soumis aux lois, l’estomac et la conscience doivent avoir une liberté entière. Cela viendra un jour, mais je mourrai avec la douleur de n’avoir pas vu cet heureux temps.

Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.