Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/514

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nombre, et en cas ; mais, après tout, les raisons que frère Beaumont a détaillées sont fortes et concluantes ; il y a de la chaleur, et le public reste convaincu de l’innocence des Calas, quod erat demonstrandum. Tout ce que je demande au ciel, c’est que le parlement de Toulouse casse l’arrêt souverain des maîtres des requêtes. Je ne me souviens plus quel était l’honnête homme qui priait Dieu tous les matins que ses ennemis fissent des sottises. Le fanatisme commence à être en horreur d’un bout de l’Europe à l’autre. Figurez-vous qu’un grand seigneur espagnol, que je ne connais point, s’avise de m’écrire une lettre tout à fait antifanatique, pour me demander des armes contre le monstre, en dépit de la sainte Hermandad.

Jean-Jacques est devenu entièrement fou ; il s’était imaginé qu’il bouleverserait sa chère patrie, que je corrompais, dit-il, en donnant chez moi des spectacles[1] ; il n’a pas mieux réussi en qualité de boute-feu qu’en qualité de charlatan philosophe. Tout ce qu’il a gagné, c’est d’être en horreur à tous les honnêtes gens de son pays : ce qui, joint à des carnosités et des sophismes, ne fait pas une situation agréable.

Est-il vrai qu’Helvétius est à Berlin ? Il me paraît que le réquisitoire composé par Abraham Chaumeix lui a donné une paralysie sur les trois doigts avec lesquels on tient la plume. Est-ce qu’il ne savait pas qu’on peut mettre l’inf… en pièces sans graver son nom sur le poignard dont on la tue ?

Mme  Denis vous embrasse de tout son cœur, et moi aussi.


5961. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[2].
25 mars.

Mon cher Esculape, vous qui connaissez les âmes comme les corps, vous n’avez que trop raison quand vous me mandez que sept cent mille têtes absurdes l’emporteront sur cinquante têtes bien faites. Je conclus qu’il faut augmenter tant qu’on peut le petit troupeau, afin qu’on soit moins en proie à la horde immense des sots. On gagne tous les jours quelques âmes ; il ne faut pas se rebuter.

Jean-Jacques met le comble à ses insolences et à sa folie ; il espère toujours rentrer chez vous par la brèche ; je ne crois pas qu’il y parvienne.

  1. Voyez sa lettre du 17 juin 1760, tome XL, page 423.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.