Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/529

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trépide que sage, c’est votre manière d’avoir toujours raison, c’est votre art d’attaquer le monstre, tantôt avec la massue d’Hercule, tantôt avec le stylet le plus affilé ; et puis, quand vous l’avez mis sous vos pieds, vous vous moquez de lui fort plaisamment. Que j’aime votre style ! que votre esprit est net et clair ! Plût à Dieu que les autres frères eussent écrit ainsi ! l’inf… ne se débattrait pas encore comme elle le fait sous la vérité qui l’écrase. Je voudrais bien savoir quel est le polisson de théologien à qui vous faites tant d’honneur. Quoi qu’il en soit, vous serez obéi ponctuellement et promptement[1].

Avez-vous lu le Siège de Calais[2] ? Je suis ami de l’auteur, je dois l’être ; je trouve que le retour du maire et de son fils, à la fin, doit faire un bel effet au théàtre. Il se peut d’ailleurs qu’il y ait dans la pièce quelques défauts qui vous aient choqué, mais ce n’est pas à moi de m’en apercevoir, et d’ailleurs le patriotisme excuse tout. Je voudrais savoir jusqu’à quel point vous êtes bon patriote ; j’ai peur que vous ne vous borniez à être bon juge. Je vous aime et révère ; écr. l’inf…


5976. — À M. D’ALEMBERT.
5 avril.

Mon cher et grand philosophe, dans un fatras de lettres que je recevais par la voie de Genève, mon étourderie a ouvert celle que je vous envoie. Je ne me suis aperçu qu’elle vous était adressée qu’après avoir fait la sottise de la décacheter ; je vous en demande très-humblement pardon, en vous protestant, foi de philosophe, que je n’en ai rien lu. J’avais ordonné en général qu’on retirât toutes celles qui vous seraient adressées d’Italie. Je n’ai trouvé que celle-là dans mon paquet ; je me flatte qu’elle n’est pas du pape régnant ; je présume qu’elle est d’un être pensant, puisqu’elle est pour vous.

Il y a peu de ces êtres pensants. Mon ancien disciple couronné me mande[3] qu’il n’y en a guère qu’un sur mille ; c’est à peu près le nombre de la bonne compagnie, et, s’il y a actuellement un millième d’hommes de raisonnables, cela décuplera dans dix ans. Le monde se déniaise furieusement. Une grande

  1. Dans sa lettre du 26 mars (n° 5964), d’Alembert priait Voltaire de recommander l’opuscule Sur la Destruction des jésuites.
  2. Tragédie de de Belloy.
  3. Cette lettre de Frédéric est perdue.