Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/54

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je lui mandais que j’avais renvoyé son Instruction pastorale a son libraire et à ses moutons. J’ai répondu à sa réponse[1], en lui prouvant très-poliment qu’il était un sot et un menteur ; et Jean-George, tout Jean-George qu’il est, n’a pas répliqué, quoique je ne lui parlasse pas, comme votre ami le quaker, le chapeau sur la tête, mais le chapeau sous le bras, en lui donnant à la vérité de grands coups de bâton. J’aurais bien envie de lui faire essuyer quelque petite humiliation publique ; de lui donner en cinq ou six pages quelques petits dégoûts sur sa charmante Instruction. Il y donne assurément beau jeu, et ne s’attend pas aux questions que je lui ferais ; mais celles que lui fait notre ami le quaker me paraissent suffisantes pour l’occuper.

Je vous remercie de plus, mon cher philosophe, de vos excellentes Additions à l’Histoire générale, non-seulement de celles que vous avez refondues dans l’ouvrage, mais de celles que vous avez données à part en un petit volume, et qui m’ont paru excellentes. L’ambassade de César aux Chinois[2], et l’arrivée du brave philosophe parmi nous[3], sont deux apologues admirables. Ce qu’il y a d’heureux, c’est que ces apologues, bien meilleurs que ceux d’Ésope, se vendent ici assez librement. Je commence à croire que la librairie n’aura rien perdu à la retraite de M. de Malesherbes. Il est vrai qu’on a fait aux gens de lettres l’honneur de les mettre dans le même département[4] que les filles de joie, auxquelles j’avoue qu’ils sont assez semblables par l’importance de leurs querelles, l’objet de leur ambition, la modération de leur haine, et l’élévation de leurs sentiments ; mais enfin il me semble que personne n’aura à se plaindre si la presse, la religion, et la coucherie, sont également libres en France.

Venons à présent aux reproches. J’ai entendu parler d’un Traité sur la Tolérance, qui est aussi d’un de vos amis, à ce qu’on m’assure, et qui ne vient pas de Philadelphie ; je demande cet ouvrage à tout ce que je vois, comme Iphigénie demande Achille[5], et je ne puis parvenir a l’avoir, et j’apprends que votre ami l’a envoyé à des gens qu’il ne devrait pas tant aimer que moi, et qui, sans me vanter, ne sont pas aussi dignes que moi de lire tout ce qui vient de lui. Dites, je vous prie, à votre ami qu’il n’est pas trop équitable dans ses préférences. Je pourrais faire là-dessus un long commentaire ; mais les commentaires ne sont pas faits pour l’ami dont je parle ; je m’en rapporte à ceux qu’il fera lui-même.

Voilà donc enfin Marmontel de l’Académie. J’en suis d’autant plus charmé que la querelle qu’on lui faisait au sujet de M. d’Aumont n’était qu’un prétexte pour ceux qui désiraient de l’exclure[6]. La véritable raison était sa

  1. Voyez ci-après, page 62, ce petit commerce épistolaire entre d’Alembert et J.G. Lefranc.
  2. Ce n’est pas dans les Additions à l’Histoire, mais dans les Remarques pour servir de supplément, etc., brochure distribuée en même temps, que se trouve cet apologue ; voyez tome XXIV, page 549.
  3. Voyez tome XXIV, page 550.
  4. Dans les bureaux de la police.
  5. Iphigénie en Aulide, acte II, scène iii.
  6. oyez la note ; tome XXXVII, page 33.