Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/568

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C’est votre bienfaisance qui m’enhardit ; je m’adresse à tous dans votre département, qui est celui de secourir les malheureux.

Il y a une famille bien plus infortunée que celle des Calas, et qui doit, comme les Calas, ses malheurs à l’horrible fanatisme du peuple, qui séduit quelquefois jusqu’aux magistrats. Mais, pour ne pas fatiguer Votre Éminence par de longs détails, je prends le parti de lui envoyer une lettre que j’écrivis, il y a quelques mois, à un de mes amis[1], et qu’on rendit publique. On est près de demander au conseil dont vous êtes une évocation ; mais nos avocats ont besoin de la copie de l’arrêt de Toulouse, qui confirme la sentence du premier juge. Cet arrêt est du 5 mai 1764. Vous pourriez aisément charger, sans vous compromettre, quelque homme de confiance de procurer cette copie. Je vous conjure de m’accorder cette grâce, si elle est en votre pouvoir. Vous tirerez une famille de très-honnêtes gens de l’état le plus cruel où l’on puisse être réduit. Il y a bien des malheureux dans ce meilleur des mondes possibles ; mais il n’y en a point qui méritent plus votre compassion, vous rendrez service au genre humain, en servant à déraciner le fanatisme fatal qui change les hommes en tigres. Ces deux exemples des Calas et des Sirven feront une grande époque. Accordez-nous, je vous en supplie, toute votre protection dans cette affaire, qui intéresse l’hiumanité. Je ne sais si vous êtes lié avec monsieur l’archechevêque de Toulouse[2], que je n’ai pas l’honneur de connaître ; mais il me semble que Votre Éminence est à portée de l’engager à nous obtenir cette copie que nous demandons. Il est bien étrange que l’on puisse refuser la communication d’un arrêt : une telle jurisprudence est monstrueuse, et, j’ose le dire, punissable. De bonne foi, souffririez-vous de pareils abus si vous étiez dans le ministère ? Enfin je m’en remets à votre sagesse et à votre bonté. Vous devez avoir quelque avocat à Toulouse chargé des affaires de votre archevêché. Il me paraît bien aisé de faire retirer cette pièce par cet avocat. Au nom de Dieu, prenez cette bonne œuvre à cœur. Je vous aimerai autant qu’on vous aime dans votre diocèse.

Je me flatte que vous jouissez d’une bonne santé ; ainsi je n’ai rien à vous souhaiter.

  1. À Damilaville : voyez n° 5929.
  2. Étienne-Charles de Loménie de Brienne, né en 1727, principal ministre en 1787, archevêque de Sens, puis cardinal ; mort en 1794.