Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/570

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pris tous les gens de lettres à la manière indigne dont elle a été traitée. Je ne sais pas si elle remontera jamais sur le théâtre ; mais je l’estime assez pour croire qu’elle n’en fera rien. C’est bien assez d’être excommuniée, sans être encore opprimée par des tyrans, et traitée avec la dernière barbarie. Les Welches mériteraient d’être réduits à la messe et au sermon pour toute nourriture ; et j’espère qu’ils finiront par ce régime si digne d’eux. Si les comédiens, comme vous dites, ne profitent pas de cette circonstance pour demander qu’on leur rende tous les droits de citoyens, même celui de rendre le pain bénit, ils seront à mes yeux les derniers des hommes. Mon avis serait qu’ils présentassent requête à l’assemblée du clergé pour obtenir mainlevée de l’excommunication, et la liberté de communier à bouche que veux-tu. Je voudrais bien savoir ce que la cour aurait à leur dire, s’ils refusaient de jouer en cas qu’on leur refusât leur demande ; sans compter qu’il serait assez bon que l’assemblée du clergé, qui va demander à cor et à cri le rappel des jésuites, qu’elle n’obtiendra pas, demandât en même temps à toute force la réhabilitation des comédiens au giron de l’Église, et en vînt à bout. Imaginez-vous quel beau sujet de réflexions pour le gazetier janséniste. À propos de gazetier janséniste, il me semble que ses amis du parlement ont renoncé au projet de dénoncer la Destruction ; ils ont senti, à force de discernement (car ils ont l’esprit fin), le ridicule dont ils se couvriraient. J’en suis sincèrement fâché, car vous savez tout le bien que je leur veux ; je ne perdrai aucune occasion de leur donner des marques de souvenir et d’attachement. Adieu, mon cher et illustre confrère ; mon attachement pour vous est d’une nature un peu différente, mais il n’en sera pas moins durable. Je vous embrasse de tout mon cœur, et j’envie bien à M. de Valbelle le plaisir qu’il aura de vous voir.

Les comédiens ont gagné leur procès contre votre Alcibiade. Ne convenez-vous pas qu’il jette un beau coton ? Vous aurez beau faire, mon cher philosophe ; vous n’en ferez jamais qu’un vieux freluquet bien peu digne d’être célébré par une plume telle que la vôtre.


6023. — À M.  DAMILAVILLE.
20 mai.

Voici, mon cher frère, deux petits croquis de Donat Calas. J’aurais désiré qu’on l’eût fait un peu plus ressemblant, et qu’on n’eût pas sacrifié une chose si importante à l’idée de le représenter dans une attitude douloureuse qui défigure son joli visage. Si vous voulez vous servir de ce dessin, recommandez au peintre de faire Donat le plus joli qu’il pourra.

Vous savez d’ailleurs, mon cher frère, que vous avez carte blanche pour mettre votre frère au rang de ceux qui contribuent à la façon de cette estampe. Ce monument éternisera la plus horrible des injustices, la plus belle réparation, et la générosité de votre zèle vertueux.