Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/581

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du baume et de la tranquillité dans leur sang. Je crois que je vais prendre ces eaux, et que je pars incessamment pour avoir de ce baume : car il faut mourir à son aise.

Il me semble que c’est une ordonnance du médecin que je suppose être dans la demi-feuille dont Mme de Florian m’a parlé ; il n’y a qu’une chose dont je suis un peu en doute, c’est si cette demi-feuille ou demi-page parle de maladies mortelles. Vous sentez combien il est triste que les consultations d’un pauvre malade soient exposées aux regards de ceux qui ne sont pas de la Faculté, et qu’il est très-bon de changer d’air. Je soupçonne qu’on a joué le même tour à frère Damilaville, qui a grand mal à la gorge, et qui a besoin de régime. Je lui conseille, pour son mal, de prendre, comme moi, de la racine de patience[1].

Je me trompe peut-être, mais j’imagine qu’on peut, avec quelque sûreté, écrire pour ses affaires sous l’enveloppe de M. de Chauvelin l’intendant, en faisant partir le paquet de Lyon, le dessus écrit d’une main étrangère, et la lettre cachetée d’une tête[2].

Je présume encore que vous pouvez avoir la bonté de m’écrire à Lyon, sous le couvert de M. Camp, banquier, contre-signé Chauvelin. Je ne crois pas non plus compromettre l’intérêt que vous voulez bien prendre à ma situation violente, en insérant ici un petit mot pour frère Damilaville, que je vous supplie de lui faire rendre. Je dois un petit mot à Lekain ; agréez-vous que je le mette aussi dans ce paquet ?

Dès qu’il partira quelqu’un pour Paris, je ne manquerai pas de le charger de quelques Bazins de Hollande arrivés depuis peu. Je ne sais plus comment le monde est fait. L’ouvrage de feu l’abbé me paraît rempli du plus profond respect pour la religion. Les jansénistes sont comme les provinciaux, ils croient toujours qu’on veut se moquer d’eux ; ou plutôt ils ressemblent aux tyrans, qui supposent continuellement des conspirations contre leur pouvoir. Mes chers et divins anges, j’ai défriché un coin de terre sauvage, je l’ai embelli, j’ai rendu ses grossiers habitants assez heureux ; je quitterai tout le fruit de mes peines comme on sort d’une hôtellerie, sitôt que je pourrai vivre dans cet asile sans inquiétude. Mandez-moi, je vous prie, si je dois rester dans ce trou ou aller dans un autre, parce que tous les trous sont égaux pour

    avant le départ pour Rolle, où Voltaire était encore le 28 (voyez lettre 6032 ; mais où il n’était plus le 29 (voyez lettre 6036). (B.)

  1. Voltaire la conseille à Damilaville dans la lettre du 22 juin, n° 6047.
  2. L’un des cachets de Voltaire était une tête de Socrate.