Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/211

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plusieurs conseillers avaient pris chez moi, et à ma sollicitation, le dessin de sévir contre le sieur Rousseau, et que c’était dans mon château qu’on avait dressé l’arrêt. Vous savez encore que les jugements portés contre le citoyen et contre le sieur Jean-Jacques Rousseau ont été les deux premiers objets des plaintes des représentants : c’est là l’origine de tout le mal.

Il est donc absolument nécessaire que je détruise cette calomnie. Je déclare au conseil et à tout Genève que s’il y a un seul magistrat, un seul homme dans votre ville à qui j’aie parlé ou fait parler contre le sieur Rousseau, avant ou après sa sentence, je consens d’être aussi infâme que les secrets auteurs de cette calomnie doivent l’être. J’ai demeuré onze ans près de votre ville, et je ne me suis jamais mêlé que de rendre service à quiconque a eu besoin de moi ; je ne suis jamais entré dans la moindre querelle ; ma mauvaise santé même, pour laquelle j’étais venu dans ce pays, ne m’a pas permis de coucher à Genève plus d’une seule fois.

On a poussé l’absurdité et l’imposture jusqu’à dire que j’avais prié un sénateur de Berne de faire chasser le sieur Jean-Jacques Rousseau de Suisse. Je vous envoie, monsieur, la lettre de ce sénateur. Je ne dois pas souffrir qu’on m’accuse d’une persécution. Je hais et méprise trop les persécuteurs pour m’abaisser à l’être. Je ne suis point ami de M. Rousseau, je dis hautement ce que je pense sur le bien ou sur le mal de ses ouvrages ; mais si j’avais fait le plus petit tort à sa personne, si j’avais servi à opprimer un homme de lettres, je me croirais trop coupable.


6251. — À M. DE CHABANON.
À Ferney, 31 janvier.

J’ai tardé bien longtemps à vous répondre, monsieur, mais j’ai dû craindre de ne vous répondre jamais ; j’ai eu une fluxion sur la poitrine, sur les yeux, et sur les oreilles ; je ne parlais ni ne voyais. Le premier usage que je fais de la voix, qui m’est un peu revenue, est de dicter mes sentiments. Vous sentez combien je désire d’avoir l’honneur de vous voir dans ma retraite, tout indigne qu’elle est à présent de votre visite. Nous sommes presque à l’air par un froid affreux, mais nous trouverons de quoi vous mettre à couvert et vous chauffer. J’ai peur qu’étant avec M. et Mme de La Chabalerie, vous ne vous empressiez pas trop de les quitter pour nos déserts. Madame votre sœur mérite assuré-