Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/219

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Or, certainement, les acteurs qui représentaient les pièces de Térence, de Varus, de Sénèque, n’étaient ni des mimes, ni des danseuses de corde qui recevaient des soufflets sur le théâtre pour de l’argent, comme Théodora, femme de Justinien, qui fit ce beau métier avant que d’être impératrice.

3° La loi du même Code, au titre De Lenonibus (des maquereaux et maquerelles), défend de forcer une femme libre, et même une servante, à monter sur la scène. Mais sur quelle scène ? et puis n’est-il pas également défendu de forcer une femme à se faire religieuse ?

4° L’article Mathematicos déclare les mathématiciens infâmes, et les chasse de la ville. Cela prouve-t-il que l’Académie des sciences est déclarée infâme par les lois romaines ? Il est évident que, par le terme mathematicos, les Romains n’entendaient pas nos géomètres, et que, par celui de mimes, ils n’entendaient pas nos acteurs. La chose est si évidente que, par la loi de Théodore, d’Arcadius, et d’Honorius, Si quis in publicis porticibus, etc. (livre II, titre xxxvi), il n’est défendu qu’aux pantomimes et aux vils histrions d’afficher leurs images dans les lieux où sont les images des empereurs. La source de la méprise vient donc de ce que nous avons confondu les bateleurs avec ceux qui faisaient profession de l’art, aussi utile qu’honnête, de représenter les tragédies et les comédies.

5° Loin que cet art, si différent de celui des histrions et des mimes, fût mis au rang des choses déshonnêtes, il fut compté presque toujours parmi les cérémonies sacrées. Plutarque est bien éloigné de rapporter l’origine de la tragédie à la fable vulgaire que Thespis, au temps des vendanges, promenait sur un tombereau des ivrognes barbouillés de lie, qui amusaient les paysans par des quolibets. Si les spectacles avaient commencé ainsi dans la savante Grèce, il est indubitable qu’on aurait eu d’abord des farces avant que d’avoir des poèmes tragiques : ce fut tout le contraire. Les premières pièces de théâtre, chez les Grecs, furent des tragédies dans lesquelles on chantait les louanges des dieux : la moitié de la pièce était composée d’hymnes. Plutarque nous apprend que cette institution vient de Minos ; ce fut un législateur, un pontife, un roi qui inventa la tragédie en l’honneur des dieux. Elle fut toujours regardée dans Athènes comme une solennité sainte : l’argent employé à ces cérémonies était aussi sacré que celui des temples. Montesquieu, qui se trompe presque à chaque page, regarde[1] comme une folie, chez

  1. Esprit des lois, livre III, chapitre iii.