Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/364

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feuilles d’impression. Je suis persuadé qu’il toucherait votre belle âme ; vous y verriez d’ailleurs des choses très-curieuses. Je passe dans ma petite sphère les derniers temps de ma vie, comme vous passez vos beaux jours, à faire le plus de bien dont je suis capable ; c’est par cela seul que je mérite un peu les bontés dont vous daignez m’honorer. Vous en ferez beaucoup dans vos belles et magnifiques terres ; vous y vivrez en souverain ; vous pourrez attirer auprès de vous des hommes dignes de vous plaire : les plus grands rois n’ont rien au-dessus.

On m’a dit que vous iriez faire un tour en Italie ; je ne sais si ce bruit est fondé, mais il me plaît infiniment. Je me flatterais que vous prendriez la route de Genève, que je pourrais avoir l’honneur de vous recevoir dans ma cabane ; vos grâces ranimeraient ma vieillesse. L’Italie commence à mériter d’être vue par un prince qui pense comme vous. On y allait, il y a vingt ans, pour voir des statues antiques, et pour y entendre de nouvelle musique ; on peut y aller aujourd’hui pour y voir des hommes qui pensent, et qui foulent aux pieds la superstition et le fanatisme.


Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.

(Racine, Mithridate, ; act. III, sc. i.)

IL s’est fait en Europe une révolution étonnante dans les esprits. J’ai trop peu d’espace pour nous dire ici ce que je pense du vôtre, et pour vous faire connaître toute l’étendue de mon respect et de mon attachement.


6421. — À MADAME LA LANDGRAVE DE HESSE[1].
Ferney, 22 juillet 1766.

Madame, M. Grimm, qui est attaché à Votre Altesse sérénissime, enhardit ma timidité ; il me mande que je puis sans crainte m’adresser à elle et implorer ses bontés en faveur d’une famille aussi infortunée que celle de Calas. Je sais, madame, que vous protégez la raison contre la tyrannie de la superstition. Le fanatisme déshonore encore la nation française ; c’est à l’Allemagne à lui donner des leçons et des exemples. Votre Altesse a donné déjà l’exemple de la compassion et de la générosité : les

  1. Briefwechsel des Grossen Landgräfin Caroline von Hessen. — Von dr Ph.-A.-F. Walther. — Wien, 1877, tome II, page 419.