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ments. Père Adam vous donne sa bénédiction, et vous renouvelle ses plus sincères hommages. V.


6420. — DE MADAME GEOFFRIN.
À Varsovie, 25 juillet.

Dans l’instant même que j’ai reçu votre lettre[1]. monsieur, je l’ai envoyée au roi avec les cahiers qui l’accompagnaient. Sa. Majesté me fit l’honneur de m’écrire sur-le-champ le billet que voici en original :

« J’ai cru voir, dans la lettre que Voltaire vous écrit, la raison qui s’adresse à l’amitié en faveur de la justice. Quand je ferai une statue de l’Amitié, je lui donnerai vos traits. Cette divinité est mère de la Bienfaisance : vous êtes la mienne depuis longtemps, et votre fils ne vous refuserait pas, quand même ce que Voltaire me demande ne m’honorerait pas autant. »

Comme c’est à vous, monsieur, que je le dois, je vous en fais l’hommage et le sacrifice. Sa Majesté me fit dire que nous lirions ensemble la brochure. Sa Majesté me l’a lue. Comme le roi lit aussi parfaitement bien que vous écrivez, monsieur, le lecteur et l’auteur m’ont fait passer une soirée délicieuse.

Sa Majesté a été très-touchée du sort des malheureux pour lesquels vous vous intéressez ; elle m’a donné de sa poche deux cents ducats.

Le roi a soupiré, monsieur, en lisant l’endroit de votre lettre où vous paraissez regretter de n’avoir pu m’accompagner. Vous avec vu des rois ! Eh bien ! l’âme, le cœur, l’esprit, et les agréments de celui-ci, auraient été, pour votre philosophie et votre humanité, un spectacle intéressant, touchant, agréable, et peut-être nouveau.

Je payerai bien cher le plaisir que j’ai eu de voir un roi qui était celui de mon cœur, avant que d’être celui de la Pologne. Je sens que la présence réelle de ses vertus, de sa sensibilité, des charmes de sa société et de sa personne, remue mon cœur bien plus vivement que ne faisait le souvenir que j’en avais conservé, quoiqu’il me fût toujours présent, et assez fort pour me faire entreprendre un très-grand voyage.

Cette douce nourriture, que je suis venue chercher pour mon sentiment, va se changer en amertume pour le reste de ma vie, quand il me faudra, en quittant ces lieux, prononcer le mot jamais.

Je serai de retour chez moi à la fin d’octobre. Vous aurez la bonté, monsieur, de me faire savoir à qui je dois remettre l’aumône du roi. J’y joindrai le denier de la veuve.

Soyez persuadé que j’ai la même horreur que vous pour le fanatisme et ses effroyables effets, et que votre humanité et votre zèle m’inspirent une aussi grande vénération que la beauté de votre esprit, son étendue, et l’immensité de vos connaissances me causent d’admiration.

La réunion de ces sentiments me rend digne, monsieur, de vous louer

  1. Voyez n° 6387.