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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/122

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CORRESPONDANCE.

Puisqu’on s’est déchaîné contre le prince Noir et du Guesclin[1], il est sûr que Caboche réussira. La décadence du goût est arrivée. Les Lois de Minos sont un très-faible ouvrage qu’on dit avoir quelque rapport avec les Druides, et qui, par conséquent, ne sera point joué. J’en avais fait présent à un jeune avocat. Rien n’était plus convenable à un homme du barreau qu’une tragédie sur les lois. Mais elle n’est bonne qu’à être jouée à la Basoche. Don Pèdre, Transtamare, le prince Noir, du Guesclin, étaient de vrais héros faits pour la cour. Il faut que la cabale ait été bien acharnée pour prévaloir sur ces grands noms, illustrés encore par vous. De tels orages sont l’aveu de votre réputation. On ne s’est jamais avisé de faire du tapage aux pièces de Danchet et de l’abbé Pellegrin. Le vieux proverbe, qu’il vaut mieux faire envie que pitié, vous est très-applicable.

N’ai-je pas ouï dire que vous aviez une pension du roi ? Je songe pour vous au solide autant qu’à la gloire, qu’on ne vous ôtera point. Ce n’est pas assez de vivre dans la postérité, il faut vivre aussi pendant qu’on existe. Vos grands talents m’ont attaché véritablement à vous ; je souhaite passionnément que vous soyez aussi heureux que vous méritez de l’être ; mais vous êtes aussi bon philosophe que bon poëte.

Je vous embrasse de tout mon cœur, sans les vaines cérémonies que de bons confrères doivent mépriser.

8560. — DU CARDINAL DE BERNIS[2]
Rome, le …

Je ne suis pas trop excusable, mon cher confrère, de n’avoir pas répondu sur-le-champ à votre lettre du mois de mai dernier. La Bégueule est fort jolie. Le jeune abbé qui l’a faite a bien profité des leçons de son maître. C’est le seul de vos imitateurs qui ait bien saisi les grâces de votre style. Faites beaucoup d’élèves comme celui-là. Si on retranchait du petit conte quelques expressions un peu trop vives pour un abbé, je n’aurais guère lu de vers plus agréables ni plus philosophiques. Ma nièce, qui avait de la disposition à s’ennuyer aisément, a lu votre conte chevaleresque ; elle a été sur-le-champ convertie. Continuez, mon confrère, à faire honneur aux lettres et à votre patrie. Éclairez les hommes en leur apprenant à respecter un frein nécessaire à toute société. Triomphez encore longtemps de la mort et de l’envie, et aimez toujours le plus sincère de vos admirateurs.

  1. Pierre le Cruel, tragédie de de Belloy, avait été jouée et sifflée le 20 mai.
  2. Réponse à la lettre du 2 mai, No 8533.