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CORRESPONDANCE.

époux tendrement aimé, en lui procurant toutes les sortes d’amusements dans lesquels les arts et les sciences peuvent avoir la plus grande part, Nous avons beaucoup parlé de vous. Ma sœur trouvait que vous manquiez à Berlin ; je lui ai répondu qu’il y avait treize ans[1] que je m’en apercevais. Cela n’a pas empêché que nous n’ayons fait des vœux pour votre conservation ; et nous avons conclu, quoique nous ne vous possédions pas, que vous n’en étiez pas moins nécessaire à l’Europe.

Laissez donc a la Fortune, à l’Amour, à Plutus, leur bandeau : car ce serait une contradiction que celui qui éclaira si longtemps l’Europe fût aveugle lui-même. Voilà peut-être un mauvais jeu de mots ; j’en fais amende honorable au dieu du goût qui siège à Ferney : je le prie de m’inspirer, et d’être assuré qu’en fait de belles-lettres je crois ses décisions plus infaillibles que celles de Ganganelli pour les articles de foi. Vale.

FÉDÉRIC.
8458. — A M. L’ABBÉ DU VERNET.
Le 13 janvier.

Le vieillard de Ferney a été malade pendant un mois ; il est dans l’état le plus douloureux, et n’en est pas moins sensible aux bontés et au mérite de M. l’abbé du Vernet. Privé presque entièrement de la vue et enterré dans les neiges, il se console en voyant qu’un philosophe aimable et plein d’esprit veut le faire revivre dans la postérité. Il s’en faut beaucoup que ce vieillard approche de Despréaux ; mais, en récompense, M. L’abbé du Vernet vaut beaucoup mieux que Brossette[2]

Mon ancien ami Thieriot, si monsieur l’abbé veut prendre la peine de l’aller voir, le mettra au fait de tout ce qui peut avoir rapport au duc de Sully et au chevalier de Rohan, qui passait pour faire le métier des Juifs ; il lui donnera aussi des anecdotes sur Julie, devenue la comtesse de Gouvernet, et sur la bagatelle des Tu et des Vous. Il est très-vrai que, dans ma seconde retraite à la Bastille, il me pourvut de livres anglais, et qu’il lui fui permis de venir dîner souvent avec moi. Il est encore très-vrai que son amitié, du fond de la Normandie, où il était alors, dans une des terres du président de Bernières, le fit voler à mon secours au château de Maisons, où j’avais la petite vérole. Gervasi, le Tronchin de ce temps-là, fut mon médecin. La limonade et lui me tirèrent d’affaire.

  1. Il y avait treize ans que le roi avait perdu sa sœur la margrave de Baireuth ; voyez tome VIII, page 472.
  2. Brossette avait reçu de Boileau des éclaircissements sur ses ouvrages.