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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/179

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année 1772.

de l’une et de l’autre nation depuis plusieurs années, et qui se sont évaporés en particules si subtiles que personne ne les a pu apercevoir. Il n’y a pas jusqu’aux miracles de la dame de Czenstochow qui n’aient eu ce sort depuis que les moines de ce couvent se trouvent en compagnie d’un beau régiment d’infanterie russe, qui occupe cette forteresse présentement.

On ne vous a point trompé, monsieur, lorsqu’on vous a dit que j’ai augmenté, ce printemps, d’un cinquième la paye de tous mes officiers militaires, depuis le maréchal jusqu’à l’enseigne. J’ai acheté en même temps la collection de tableaux de feu M. de Crozat, et je suis en marché d’un diamant de la grosseur d’un œuf.

Il est vrai qu’en augmentant ainsi mes dépenses, d’un autre côté mes possessions se sont aussi un peu accrues par un accord fait entre la cour de Vienne, le roi de Prusse, et moi[1]. Nous n’avons point trouvé d’autre moyen pour garantir nos frontières des incursions des prétendus confédérés dirigés par les officiers français, que de les étendre. Le cours de la Dvina et du Borysthène, dont j’ai fait prendre possession ces jours-ci, fera cet effet : ne trouvez-vous pas raisonnable que ceux qui ferment l’oreille à la raison payent les violons ? J’ai ordonné de faire venir le comédien dont vous me parlez. Lorsque votre baron de Pellemberg sera arrivé, je vous en parlerai.

Adieu, monsieur ; souvenez-vous de moi en bien, et soyez assuré du sensible plaisir que me font vos lettres. Vous pourriez m’en faire un plus grand encore, ce serait de vous porter bien, en dépit des années.

À propos, que dites-vous de la révolution arrivée en Suède[2] ? Voilà une nation qui perd, dans moins d’un quart d’heure, sa forme de gouvernement et sa liberté. Les états, entourés de troupes et de canons, ont délibéré vingt minutes sur cinquante-deux points qu’ils ont été obligés de signer. Je ne sais si cette violence est douce ; mais je vous garantis la Suède sans liberté, et le roi de ce pays aussi despotique que le Grand Turc ; et tout cela, deux mois après que le souverain et toute la nation s’étaient juré réciproquement la stricte conservation de leurs droits réciproques.

Le père Adam ne trouve-t-il pas que voilà bien des consciences en danger ?

  1. Le premier partage de la Pologne est du 15 août 1772.
  2. Par cette révolution, qui est du 19 août 1772, toute l’autorité rentra dans les mains du roi, comme depuis Gustave-Adolphe jusqu’à Charles XI. Le parti des bonnets, ou du sénat, perdit toute sa puissance. La révolution fut terminée en cinquante-quatre heures.

    Le Journal encyclopédique des 1er et 15 octobre et du 1er novembre 1772 contient une Relation de ce qui est arrivé à Stockholm le 19 août dernier au 21 inclusivement, etc. Les Mémoires secrets du 6 septembre parlent d’une édition de cette Relation sortie de l’imprimerie du département des affaires étrangères à Versailles.