Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/227

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Peut-on cacher son cœur aux cœurs qui sont à nous ?
En vous justifiant, vous redoublez ma crainte.
Dans vos yeux égarés trop d’horreur est empreinte.
Ciel ! que fera mon père, alors que dans ces lieux
Ces funestes apprêts viendront frapper ses yeux ?
Souvent les noms de fille, et de père, et de gendre,
Lorsque Rome a parlé, n’ont pu se faire entendre.
Notre hymen lui déplut, vous le savez assez :
Mon bonheur est un crime à ses yeux offensés.
On dit que Nonnius est mandé de Préneste.
Quels effets il verra de cet hymen funeste !
Cher époux, quel usage affreux, infortuné,
Du pouvoir que sur moi l’amour vous a donné !
Vous avez un parti ; mais Cicéron, mon père,
Caton, Rome, les dieux, sont du parti contraire.
Peut-être Nonnius vient vous perdre aujourd’hui.

CATILINA.

Non, il ne viendra point ; ne craignez rien de lui.

AURELIE.

Comment ?

CATILINA.

Aux murs de Rome il ne pourra se rendre
Que pour y respecter et sa fille et son gendre.
Je ne puis m’expliquer, mais souvenez-vous bien
Qu’en tout son intérêt s’accorde avec le mien.
Croyez, quand il verra qu’avec lui je partage
De mes justes projets le premier avantage,
Qu’il sera trop heureux d’abjurer devant moi
Les superbes tyrans dont il reçut la loi.
Je vous ouvre à tous deux, et vous devez m’en croire,
Une source éternelle et d’honneur et de gloire.

AURELIE.

La gloire est bien douteuse, et le péril certain[1].
Que voulez-vous ? pourquoi forcer votre destin ?
Ne vous suffit-il pas, dans la paix, dans la guerre,
D’être un des souverains sous qui tremble la terre ?
Pour tomber de plus haut, où voulez-vous monter ?
Les noirs pressentiments viennent m’épouvanter.

  1. Corneille dit dans Cinna, acte Ier, scène Ire.
    · · · La gloire est douteuse, et le péril certain.