J’entends avec mépris ses cris injurieux :
Qu’il déclame à son gré jusqu’à sa dernière heure ;
Qu’il triomphe en parlant, qu’on l’admire, et qu’il meure.
De plus cruels soucis, des chagrins plus pressants,
Occupent mon courage, et règnent sur mes sens.
Que dis-tu ? qui t’arrête en ta noble carrière ?
Quand l’adresse et la force ont ouvert la barrière,
Que crains-tu ?
Ce n’est pas mes nombreux ennemis ;
Mon parti seul m’alarme, et je crains mes amis,
De Lentulus-Sura l’ambition jalouse,
Le grand cœur de César, et surtout mon épouse.
Ton épouse ? tu crains une femme et des pleurs ?
Laisse-lui ses remords, laisse-lui ses terreurs ;
Tu l’aimes, mais en maître, et son amour docile
Est de tes grands desseins un instrument utile.
Je vois qu’il peut enfin devenir dangereux.
Rome, un époux, un fils, partagent trop ses voeux.
O Rome ! ô nom fatal ! ô liberté chérie !
Quoi ! dans ma maison même on parle de patrie !
Je veux qu’avant le temps fixé pour le combat,
Tandis que nous allons éblouir le sénat,
Ma femme, avec mon fils, de ces lieux enlevée,
Abandonne une ville aux flammes réservée,
Qu’elle parte, en un mot. Nos femmes, nos enfants,
Ne doivent point troubler ces terribles moments.
Mais César !
Que veux-tu ? Si par ton artifice
Tu ne peux réussir à t’en faire un complice,
Dans le rang des proscrits faut-il placer son nom ?
Faut-il confondre enfin César et Cicéron ?
C’est là ce qui m’occupe, et s’il faut qu’il périsse,
Je me sens étonné de ce grand sacrifice.
Il semble qu’en secret, respectant son destin,
Je révère dans lui l’honneur du nom romain.
Mais Sura viendra-t-il ?