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Scène 3

Catilina, César[1]


CATILINA

Eh bien ! César, eh bien ! toi de qui la fortune
Dès le temps de Sylla me fut toujours commune,
Toi dont j’ai présagé les éclatants destins,
Toi né pour être un jour le premier des Romains,
N’es-tu donc aujourd’hui que le premier esclave
Du fameux plébéien qui t’irrite et te brave ?
Tu le hais, je le sais, et ton œil pénétrant
Voit pour s’en affranchir ce que Rome entreprend ;
Et tu balancerais, et ton ardent courage
Craindrait de nous aider à sortir d’esclavage !
Des destins de la terre il s’agit aujourd’hui,
Et César souffrirait qu’on les changeât sas lui !
Quoi ! n’es-tu plus jaloux du nom du grand Pompée ?
Ta haine pour Caton s’est-elle dissipée ?
N’es-tu pas indigné de servir les autels,
Quand Cicéron préside au destin des mortels,
Quand l’obscur habitant des rives du Fibrène
Siège au-dessus de toi sur la pourpre romaine ?
Souffriras-tu longtemps tous ces rois fastueux,
Cet heureux Lucullus, brigand voluptueux,
Fatigué de sa gloire, énervé de mollesse ;
Un Crassus étonné de sa propre richesse[2],
Dont l’opulence avide, osant nous insulter,
Asservirait l’état, s’il daignait l’acheter ?
Ah ! de quelque côté que tu jettes la vue,
Vois Rome turbulente, ou Rome corrompue ;
Vois ces lâches vainqueurs en proie aux factions,
Disputer, dévorer le sang des nations.

  1. « Comptez, écrit Voltaire à d‘Argental, que la scène de César et de Catilina fera plaisir à tout le monde... Soyez sûr que tous ceux qui ont un peu de teinture de l’histoire romaine ne seront pas tachés d’en avoir un tableau f‍idèle. »
  2. Crébillon, acte ler, scène II, de son Catilina, avait dit:
    Crassus, plein de désirs indignes d'un grand cœur,
    Borne à de vils trésors les soins de sa grandeur.