Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/327

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Sa peine lui suffit ; et, dans ce grand naufrage,
Rassembler nos débris, voilà notre partage.
Où serais-je, grand dieu, si ma crédulité
Eût tombé dans le piège à mes pas présenté ?
Auprès du fils des rois si j’étais demeurée,
La victime aux bourreaux allait être livrée,
Je cessais d’être mère, et le même couteau
Sur le corps de mon fils me plongeait au tombeau.
Grâces à mon amour, inquiète, troublée,
À ce fatal berceau l’instinct m’a rappelée.
J’ai vu porter mon fils à nos cruels vainqueurs ;
Mes mains l’ont arraché des mains des ravisseurs.
Barbare, ils n’ont point eu ta fermeté cruelle ;
J’en ai chargé soudain cette esclave fidèle,
Qui soutient de son lait ses misérables jours,
Ces jours qui périssaient sans moi, sans mon secours ;
J’ai conservé le sang du fils et de la mère,
Et j’ose dire encor de son malheureux père.

zamti

Quoi ! Mon fils est vivant !

idamé

Quoi ! Mon fils est vivant !Oui, rends grâces au ciel,
Malgré toi favorable à ton cœur paternel.
Repens-toi.

zamti

Repens-toi.Dieu des cieux, pardonnez cette joie,
Qui se mêle un moment aux pleurs où je me noie !
Ô ma chère Idamé ! Ces moments seront courts :
Vainement de mon fils vous prolongiez les jours ;
Vainement vous cachiez cette fatale offrande :
Si nous ne donnons pas le sang qu’on nous demande,
Nos tyrans soupçonneux seront bientôt vengés ;
Nos citoyens tremblants, avec nous égorgés,
Vont payer de vos soins les efforts inutiles ;
De soldats entourés, nous n’avons plus d’asiles ;
Et mon fils, qu’au trépas vous croyez arracher,
À l’œil qui le poursuit ne peut plus se cacher.
Il faut subir son sort[1].

  1. On lit dans Virgile :
    Nec nos obniti contra, neque tendore tantum
    Sufficimus : superat quoniam fortuna, soquamur..
    Æn., V, 21.