Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/348

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Par ses tristes conseils Octar m’a révolté :
Je ne vois près de moi qu’un tas ensanglanté
De monstres affamés et d’assassins sauvages,
Disciplinés au meurtre, et formés aux ravages ;
Ils sont nés pour la guerre, et non pas pour ma cour ;
Je les prends en horreur, en connaissant l’amour :
Qu’ils combattent sous moi, qu’ils meurent à ma suite ;
Mais qu’ils n’osent jamais juger de ma conduite.
Idamé ne vient point… c’est elle, je la voi.


Scène IV.

GENGIS, IDAMÉ.
idamé

Quoi ! Vous voulez jouir encor de mon effroi ?
Ah ! Seigneur, épargnez une femme, une mère ;
Ne rougissez-vous pas d’accabler ma misère ?

gengis

Cessez à vos frayeurs de vous abandonner :
Votre époux peut se rendre, on peut lui pardonner ;
J’ai déjà suspendu l’effet de ma vengeance,
Et mon cœur pour vous seule a connu la clémence.
Peut-être ce n’est pas sans un ordre des cieux
Que mes prospérités m’ont conduit à vos yeux :
Peut-être le destin voulut vous faire naître
Pour fléchir un vainqueur, pour captiver un maître,
Pour adoucir en moi cette âpre dureté
Des climats où mon sort en naissant m’a jeté.
Vous m’entendez, je règne, et vous pourriez reprendre
Un pouvoir que sur moi vous deviez peu prétendre.
Le divorce, en un mot, par mes lois est permis ;
Et le vainqueur du monde à vous seule est soumis.[1]

  1. Il se ramène en soi, n’ayant plus où se prendre,
    Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre.

    Rien ne forme plus le goût, comme le remarque M. de Voltaire, que ces comparaisons, lorsque surtout deux hommes d’un génie égal, mais très—différent, ont à exprimer un même fond d’idées, dans des circonstances et avec des accessoires qui
    ne sont pas les mêmes. Ici l’un peint un tyran, et la satiété d’une âme épuisée
    par des passions violentes ; et l’autre peint un conquérant, et le vide d’un cœur
    qui a conservé sa sensibilité et son énergie. (K.)