Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/380

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qu’il me laisse. Je respecte votre dignité, je connais peu votre personne, et je ne puis me donner à vous.

ANITUS.

Vous ne pouvez ! Vous qui êtes libre ! Ah ! Cruelle Aglaé, vous ne le voulez donc pas ?

AGLAÉ.

Il est vrai, je ne le veux pas.

ANITUS.

Songez-vous bien à l’affront que vous me faites ? Je vois trop que Socrate me trahit ; c’est lui qui dicte votre réponse ; c’est lui qui donne la préférence à ce jeune Sophronime, à mon indigne rival, à cet impie...

AGLAÉ.

Sophronime n’est point impie ; il lui est attaché dès l’enfance ; Socrate lui sert de père comme à moi. Sophronime est plein de grâces et de vertus. Je l’aime, j’en suis aimée : il ne tient qu’à moi d’être sa femme ; mais je ne serai pas plus à lui qu’à vous.

ANITUS.

Tout ce que vous me dites m’étonne. Quoi ! Vous osez m’avouer que vous aimez Sophronime ?

AGLAÉ.

Oui, j’ose vous l’avouer, parce que rien n’est plus vrai.

ANITUS.

Et quand il ne tient qu’à vous d’être heureuse avec lui, vous refusez sa main ?

AGLAÉ.

Rien n’est plus vrai encore.

ANITUS.

C’est sans doute la crainte de me déplaire qui suspend votre engagement avec lui ?

AGLAÉ.

Non assurément ; car n’ayant jamais cherché à vous plaire, je ne crains point de vous déplaire.

ANITUS.

Vous craignez donc d’offenser les dieux, en préférant un profane comme Sophronime à un ministre des autels ?

AGLAÉ.

Point du tout ; je suis persuadée que l’Être suprême se soucie fort peu que je vous épouse ou non.

ANITUS.

L’Être suprême ! Ma chère fille, ce n’est pas ainsi qu’il faut parler ; vous devez dire les dieux et les déesses. Prenez garde, j’entrevois