Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/454

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moins de cette bonne fortune. Monsieur, il ne faut plus dissimuler ; nous sommes dans la dernière misère, et sans la bonté attentive du maître du café, nous serions mortes mille fois. Ma maîtresse a caché son état à ceux qui pouvaient lui rendre service ; vous l’avez su malgré elle : obligez-la, malgré elle, à ne pas se priver du nécessaire que le ciel lui envoie par vos mains généreuses,

LINDANE.

Tu me perds d’honneur, ma chère Polly.

POLLY.

Et vous vous perdez de folie, ma chère maîtresse.

LINDANE.

Si tu m’aimes, prends pitié de ma gloire ; ne me réduis pas à mourir de honte pour avoir de quoi vivre.

FREEPORT, toujours lisant.

Que disent ces bavardes-là ?

POLLY.

Si vous m’aimez, ne me réduisez pas à mourir de faim par vanité.

LINDANE.

Polly, que dirait milord, s’il m’aimait encore, s’il me croyait capable d’une telle bassesse ? J’ai toujours feint avec lui de n’avoir aucun besoin de secours, et j’en accepterais d’un autre, d’un inconnu !

POLLY.

Vous avez mal fait de feindre, et vous faites très-mal de refuser, Milord ne dira rien, car il vous abandonne.

LINDANE.

Ma chère Polly, au nom de nos malheurs, ne nous déshonorons point : congédie honnêtement cet homme estimable et grossier, qui sait donner, et qui ne sait pas vivre ; dis-lui que quand une fille accepte d’un homme de tels présents, elle est toujours soupçonnée d’en payer la valeur aux dépens de sa vertu.

FREEPORT, toujours prenant son chocolat, et lisant.

Hem ! que dit-elle là ?

POLLY, s’approchant de lui.

Hélas ! monsieur, elle dit des choses qui me paraissent absurdes ; elle parle de soupçons ; elle dit qu’une fille…

FREEPORT.

Ah ! ah ! est-ce qu’elle est fille ?

POLLY.

Oui, monsieur, et moi aussi.