Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/523

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FANIE.

Je sens combien cet ordre est douloureux pour vous.
J’ai vu vos sentiments, j’en ai connu la force.
Le sort n’eut point de traits, la cour n’eut point d’amorce,
Qui pussent arrêter ou détourner vos pas
Quand la route par vous fut une fois choisie.
Votre cœur s’est donné, c’est pour toute la vie.
Tancrède et Solamir, touchés de vos appas.
Dans la cour des Césars en secret soupirèrent :
Mais celui que vos yeux justement distinguèrent,
Qui seul obtint vos vœux, qui sut les mériter.
En sera toujours digne ; et, puisque dans Byzance
Sur le fier Solamir il eut la préférence,
Orbassan dans ces lieux ne pourra l’emporter :
Votre âme est trop constante.

AMÉXAÏDE.

Ah ! tu n’en peux douter.
On dépouille Tancrède, on l’exile, on l’outrage :
C’est le sort d’un héros d’être persécuté [1] ;
Je sens que c’est le mien de l’aimer davantage.
Écoute : dans ces murs Tancrède est regretté ;
Le peuple le chérit.

FANIE.

Banni dans son enfance.
De son père oublié les fastueux amis
Ont bientôt à son sort abandonné le fils.
Peu de cœurs comme vous tiennent contre l’absence.
A leurs seuls intérêts les grands sont attachés.
Le peuple est plus sensible.

AMÉNAÏDE.

Il est aussi plus juste,

FANIE.

Mais il est asservi : nos amis sont cachés ;
Aucun n’ose parler pour ce proscrit auguste.
Un sénat tyrannique est ici tout-puissant.

AMÉNAÏDE.

Oui, je sais qu’il peut tout quand Tancrède est absent.

  1. En avril 1702, le maréchal de Broglie ayant été exilé de la cour, tout le monde battit des mains à ces vers, et on cria : Broglie ! Broglie ! par manière de protestation. (G. A.)