Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/586

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SAÜL.

Ô mon cher Baza ! heureux mille fols celui qui conduit en paix les troupeaux bêlants de Benjamin, et presse le doux raisin de la vallée d’Engaddi ! Hélas ! je cherchais les ânesses de mon père, je trouvai un royaume[1] ; depuis ce jour je n’ai connu que la douleur. Plût à Dieu, au contraire, que j’eusse cherché un royaume, et trouve des ânesses ! j’aurais fait un meilleur marché.

BAZA.

Est-ce le prophète Samuel ? Est-ce votre gendre David qui vous cause ce mortel chagrin ?

SAÜL.

L’un et l’autre. Samuel, tu le sais, m’oignit malgré lui ; il fit ce qu’il put pour empêcher le peuple de choisir un prince, et dès que je fus élu, il devint le plus cruel de tous mes ennemis.

BAZA.

Vous deviez bien vous y attendre ; il était prêtre, et vous étiez guerrier ; il gouvernait avant vous : on hait toujours son successeur.

SAÜL.

Eh ! pouvait-il espérer de gouverner plus longtemps ? Il avait associé à son pouvoir ses indignes enfants, également corrompus et corrupteurs, qui vendaient publiquement la justice : toute la nation s’éleva contre ce gouvernement sacerdotal. On tira un roi au sort : les dés sacrés[2] annoncèrent la volonté du ciel ; le peuple la ratifia, et Samuel frémit ; ce n’est pas assez de haïr en moi un prince choisi par le ciel, il hait encore le prophète, car il sait que, comme lui, j’ai le nom de voyant ; que j’ai prophétisé comme lui ; et ce nouveau proverbe répandu dans Israël, Saül[3] est aussi au rang des prophètes, n’offense que trop ses oreilles superbes. On le respecte encore ; pour mon malheur il est prêtre, il est dangereux.

BAZA.

N’est-ce pas lui qui soulève contre vous votre gendre David ?

SAÜL.

Il n’est que trop vrai, et je tremble qu’il ne cabale pour donner ma couronne à ce rebelle.

BAZA.

Votre Altesse royale est trop bien affermie par ses victoires, et le roi Agag, votre illustre prisonnier[4], vous est ici un sûr garant

  1. Rois, I, chap. x, verset 1 ; xix, 3, 4.
  2. Rois, I, chap. x, versets 10, 20, 21.
  3. Rois, I, chap. x, verset 6 ; xix, 23.
  4. Rois, I, chap. xv, verset 8.