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268 PUKIACE DE L’ÉDITION DE PARIS.

n’avait convaincu les spectateurs ([uo ces sujets peuvent être aussi propres à la tragédie (|ue les aventures des liéros les plus connus et les plus imposants.

La tragédie des Scythes est un plan beaucoup plus hasardé. Qui voit-on paraître d’abord sur la scène ? deux vieillards auprès de leurs cabanes, des bergers, des laboureurs. De qui parle-t-on ? d’une fille qui prend soin de la vieillesse de son père, et cjui fait le service le plus pénible. Qui épouse-t-elle ? un pâtre qui n’est jamais sorti des champs paternels. Les deux vieillards s’asseyent sur un banc de gazon. Mais que des acteurs habiles pourraient faire valoir cette simplicité !

Ceu\ qui se connaissent en déclamation et en expression de la nature sentiront surtout quel effet pourraient faire deux vieillards, dont l’un tremble pour son fils, et l’autre pour son gendre, dans le temps que le jeune pasteur est aux prises avec la mort ; un père, affaibli par l’âge et par la crainte, qui chancelle, qui tombe sur un siège de mousse, qui se relève avec peine, qui crie d’une voix entrecoupée qu’on coure aux armes, qu’on vole au secours de son fils ; un ami éperdu qui partage ses douleurs et sa faiblesse, qui l’aide d’une main tremblante à se relever : ce même père qui, dans ces moments de saisissement et d’angoisse, apprend que son fils est tué, et qui, le moment d’après, apprend que son fils est vengé ; ce sont là, si je ne me trompe, de ces peintures vivantes et animées qu’on ne connaissait pas autrefois, et dont M. Lekain a donné des leçons terril)les qu’on doit imiter désormais.

C’est là le véritable art de l’acteur. On ne savait guère auparavant que réciter proprement des couplets, comme nos maîtres de musique apprenaient à chanter proprement. Qui aurait osé, avant M’"" Clairon, jouer dans Oreste la scène de l’urne comme elle l’a jouée ? qui aurait imaginé de peindre ainsi la nature, de tomber évanouie tenant l’urne d’une main, en laissant l’autre descendre immobile et sans vie ? Qui aurait osé, comme M. Lekain, sortir, les bras ensanglantés, du tombeau de Mnus. tandis que l’admirable actrice* qui représentait Sémiramis se traî- nait mourante sur les marches du tombeau même ? Voilà ce que les petits-maîtres et les petites-maîtresses appelèrent d’abord des postures, et ce que les connaisseurs, étonnés de la perfection inattendue de l’art, ont appelé des tableaux de Michel-Ange. C’est là en effet la véritable action théâtrale. Le reste était une conversation quelquefois passionnée.

1. m"’ Dumosnil.