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PRÉFACE DE L’ÉDITION DE PARIS. 269

C’est dans ce j^rand art de |)arler aux yeux qu’excelle le plus grand acteur qu’ait jamais eu rAngleterre, M. Canick, qui a effrayé et attendri parmi nous ceux mêmes qui ne savaient pas sa langue.

Cette magie a été fortement recommandée il y a quelques années par un philosophie* qui, h l’exemple d’Aristote, a su joindre aux sciences abstraites l’éloquence, la connaissance du cœur humain, et l’intelligence du théâtre. Il a été en tout de l’avis de l’auteur de Sèmiramis, qui a toujours voulu qu’on animât la scène par un plus grand appareil, par plus de pittoresque, par des nuMivements plus ])passionnés qu’elle ne semblait en comporter auparavant. Ce philosophe sensible a même proposé des choses que l’auteur de Sèmiramis, iVOreste et de Tancrhde n’oserait jamais hasarder. C’est bien assez qu’il ait fait entendre les cris et lesi)aroles de Clytemnestre qu’on égorge derrière la scène, paroles qu’une actrice doit prononcer d’une voix aussi terrible que douloureuse, sans quoi tout est manqué. Ces paroles faisaient dans Athènes un etlet prodigieux ; tout le monde frémissait quand il entendait : w tî^-cv, téitvov, tiv. Tsife Tf, v tejc&Ogxv. Ce n’est que })ar degrés qu’on peut accoutumer notre théâtre à ce grand pathétique :

Mais il est des objets que l’ait judicieux Doit offrir à l’oreille, et reculer des yeux.

Souvenons-nous toujours qu’il ne faut pas pousser le terril)le jusqu’à l’horrible. On peut elfrayer la nature, mais non pas la révolter et la dégoûter.

Cardons-nous surtout de chercher dans un grand appareil, et dans un vain jeu de théâtre, un supplément à l’intérêt et à l’éloquence. Il vaut cent fois mieux, sans doute, savoir faire parler ses acteurs que de se borner à les faire agir. Nous ne pouvons trop répéter que quatre beaux vers de sentiment valent mieux que quarante belles attitudes. Malheur à qui croirait plaire par des pantomimes avec des solécismes ou avec des vers froids et durs, pires que toutes les fautes contre la langue ! 11 n’est rien de beau en aucun genre que ce qui soutient l’examen attentif de l’homme de goût.

L’appareil, l’action, le pittoresque, font un grand effet sans doute ; mais ne mettons jamais le bizarre et le gigantesque à la place de la nature, et le forcé à la place du simple ; que le déco-

1. Diderot, dans ses Entretiens sur le Fils natuhel. Voyez Œuvres complètes de Dideroty édition Garnior frères, tome V’Ii, p. 83.