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Scène II

GOURVILLE L’AÎNÉ.

Je pleure sur son sort ; le voilà qui s’abîme ;
Il va de femme en fille, il court de crime en crime.

Il s’assied, et ouvre un livre.

Que Garasse a raison[1] ! Qu’il peint bien, à mon sens,
Les travers odieux de tous nos jeunes gens !
Qu’il enflamme mon cœur, et qu’il le fortifie
Contre les passions qui tourmentent la vie !

Il lit encore.

C’est bien dit oui, voilà le plan que je suivrai.
Du sentier des méchants je me retirerai.
J’éviterai le jeu, la table, les querelles,
Les vains amusements, les spectacles, les belles.

Il se lève.

Quel plaisir noble et doux de haïr les plaisirs ;
De se dire en secret : Me voilà sans désirs ;
Je suis maître de moi, juste, insensible, sage  ;
Et mon âme est un roc au milieu de l’orage !
Je rougis quand je vois dans ce maudit logis
Ces conversations, ces soupers, ces amis.
Je souris de pitié de voir qu’on me préfère,
Sans nul ménagement, mon étourdi de frère.
Il plaît à tout le monde, il est tout fait pour lui.
C’en est trop pour jamais j’y renonce aujourd’hui.
Je conserve à Ninon de la reconnaissance ;
Elle eut soin de nous deux au sortir de l’enfance ;
Et, malgré ses écarts, elle a des sentiments
Qu’on eût pris pour vertu peut-être en d’autres temps.
Mais…

Il se mord le doigt, et fait une grimace effroyable.
  1. Garasse, jésuite, né en 1585, mort en 1631, auteur de la Somme Théologique des Vérités capitales de la religion chrétienne.