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498 DISCOURS HISTORIQUE ET CRITIQUE.

propre fils^. Il faut avouer que le grand-prêtre, par ses manœuvres et par sa lerocité, fait tout ce qu’il peut pour perdre cet enfant qu’il veut conserver ; car en attirant la reine dans le temple sons prétexte de lui donner de l’argent, en préparant cet assassinat, pouvait-il s’assurer que le petit Joas ne serait pas égorgé dans le tunmlte ?

« En un mot, ce qui peut être bon pour une nation peut être fort insipide pour une autre. On a voulu en vain me faire admirer la réponse que Joas fait à la reine quand elle lui dit :

J’ai mon dieu que je sers ; vous servirez le vôtre : Ce sont deux puissants dieux.

Le petit Juif lui répond :

Il faut craindre le mien ;

Lui seul est Dieu, madame, et le vôtre n’est rien.

« Qui ne voit que l’enfant aurait répondu de même s’il avait été élevé dans le culte de Baal par Matlian ? Cette réponse ne signifie autre chose sinon : J’ai raison, et vous avez tort, car ma nourrice me l’a dit.

(c Enfin, monsieur, j’admire avec vous l’art et les vers de Racine dans Athalie, et je trouve avec vous que le fanatique Joad est d’un très-dangereux exemple,

— Je ne veux point, lui répliquai-je, condamner le goût de vos Anglais ; chaque peuple a son caractère : ce n’est point pour le roi Guillaume que Racine fit son Athalie ; c’est pour M’"^ de Maintenon et pour des Français, Peut-être vos Anglais n’auraient point été touchés du péril imaginaire du petit Joas : ils raisonnent, mais les Français sentent : il faut plaire à sa nation ; et quiconque n’a point avec le temps de réputation chez soi, n’en a jamais ailleurs. Racine prévit bien l’effet que sa pièce devait faire sur notre théâtre ; il conçut que les spectateurs croiraient en effet que la vie de l’enfant est menacée, quoiqu’elle ne le soit point du tout. Il sentit qu’il ferait illusion par le prestige de son art admirable ; que la présence de cet enfant et les discours touchants de Joad, qui lui sert de père, arracheraient des larmes.

« J’avoue qu’il n’est pas possible qu’une femme d’environ cent ans veuille égorger son petit-fils, son unique héritier ; je sais qu’elle a un intérêt pressant à l’élever auprès d’elle, qu’il doit lui

1. AUiaUr, acte II, scène vu.