Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/51

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Ma foi, n’est pas raisonnable qui veut[1].

LE MARQUIS.

Vous vous trompez : de son cœur on est maître :
J’en fis l’épreuve : est sage qui veut l’être ;
Et, croyez-moi, cette Acanthe, entre nous,
Eut des attraits pour moi comme pour vous ;
Mais ma raison ne pouvait me permettre
Un fol amour qui m’allait compromettre ;
Je rejetai ce désir passager,
Dont la poursuite aurait pu m’affliger,
Dont le succès eût perdu cette fille,
Eût fait sa honte aux yeux de sa famille,
Et l’eût privée à jamais d’un époux.

LE CHEVALIER.

Je ne suis pas si timide que vous ;
La même pâte, il faut que j’en convienne,
N’a point formé votre branche et la mienne.
Quoi ! vous pensez être dans tous les temps
Maître absolu de vos yeux, de vos sens ?

LE MARQUIS.

Et pourquoi non ?

LE CHEVALIER.

Et pourquoi non ? Très-fort je vous respecte ;
Mais la sagesse est tant soit peu suspecte ;
Les plus prudents se laissent captiver,
Et le vrai sage est encore à trouver.
Craignez surtout le titre ridicule
De philosophe.

LE MARQUIS.

De philosophe. Ô l’étrange scrupule !
Ce noble nom, ce nom tant combattu,
Que veut-il dire ? amour de la vertu.
Le fat en raille avec étourderie,
Le sot le craint, le fripon le décrie ;
L’homme de bien dédaigne les propos
Des étourdis, des fripons, et des sots ;
Et ce n’est pas sur les discours du monde
Que le bonheur et la vertu se fonde[2].

  1. Voyez les vers qui terminent le troisième acte de la Prude, et la note, Théâtre, tome III, page 448. (B.)
  2. Ce morceau sur les philosophes fut envoyé au moment des répétitions. « Je