Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/197

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Tous mes concitoyens sont justes et terribles ;
Tu les connais, tu sais s’ils furent invincibles.
Les foudres de ton dieu, par un aigle portés,
Ne te sauveront pas de leurs traits mérités :
Lui-même, s’il existe, et s’il régit la terre,
S’il naquit parmi vous, s’il lance le tonnerre[1],
Il saura bien sur toi, monstre de cruauté,
Venger son divin nom si longtemps insulté.
Puisse tout l’appareil de ton infâme fête,
Tes couteaux, ton bûcher, retomber sur ta tête !
Puisse le temple horrible où mon sang va couler,
Sur ma cendre, sur toi, sur les tiens s’écrouler !
Périsse ta mémoire ! Et s’il faut qu’elle dure,
Qu’elle soit en horreur à toute la nature !
Qu’on abhorre ton nom ! Qu’on déteste tes dieux !

  1. Les Crétois disaient Minos fils de dieu, comme les Thébains disaient Bacchus et Hercule fils de dieu, comme les Argiens le disaient de Castor et de Pollux, les Romains de Riomulus, comme enfin les Tartares l’ont dit de Gengis-kan, comme toute la fable l’a chanté de tant de héros et de législateurs, ou de gens qui ont passé pour tels.
    Les doctes ont examine sérieusement si ce Jupiter, le maître des dieux et le père de Minos, était né véritablement en Crete, et si Jupiter avait été enterré à Gortis, ou Gortine, ou Cortine.
    C’est dommage que Jupiter soit un nom latin. Les doctes ont prétendu encore que ce nom latin venait de Jovis, dont on avait fait Jovis pater, Jov piter, Jupiter, et que ce Jov venait de Jehovah ou Hiao, ancien nom de Dieu en Syrie, en Égypte, en Phénicie.
    Ceux qu’on appelle théologiens, dit Cicéron (de Natura deorum, lib. III), comptent trois Jupiter, deux d’Arcadie et un de Crète. Principio Juves tres numerant ii qui theologi appelluntur.
    Il est à remarquer que tous les peuples qui ont admis ce Jupiter, ce Jov, l’on tous armé du tonnerre. Ce fut l’attribut réserve au souverain des dieux en
    Asie, en Grèce, à Rome ; non pas en Égypte, parce qu’il n’y tonne presque jamais. La théologie dont parle Ciceron ne fut pas établie par les philosophes. Celuit qui a dit :

    Primus in orbe deos fecit timor, ardua cœlo
    Fulmina quum caderent.

    n’a pas eu tort. Il y a bien plus de gens qui craignent qu’il n’y en a qui raisonnent et qui aiment. S’ils avaient raisonné, ils auraient conçu que Dieu, l’auteur de la nature, envoie la rosée comme le tonnerre, et la grêle ; qu’il a fait les lois suivant lesquelles le temps est serein dans un canton, tandis qu’il est orageux dans un autre, et que ce n’est point du tout par mauvaise humeur qu’il fait tomber la foudre à Babylone, tandis qu’il ne la lance jamais sur Memphis. La résignation aux ordres éternels et immuables de la Providence universelle est une vertu ; mais l’idée qu’un homme frappé du tonnerre est puni par les dieux, n’est qu’une pusillanimité ridicule. (Note de Voltaire.) — Le passage latin cité par Voltaire dans cette note est dans les fragments de Pétrone. Le Primus in orbe deos fecit timor est répété dans la Thébaïde de Stace, chant III, vers 661. (B.)