Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/232

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Qu’on ose nommer temple, et qu’avec tant d’horreur
Du sang des nations on souille en ton honneur !
C’est en ces lieux de mort, en ce repaire infâme,
Qu’on allait immoler Astérie et Datame !
Providence éternelle, as-tu veillé sur eux ?
Leur as-tu préparé des destins moins affreux ?
Nous n’avons point d’autels où le faible t’implore[1] :

  1. Plusieurs peuples furent, longtemps sans temples et sans autels, et surtout les peuples nomades. Les petites hordes errantes, qui n’avaient point encore de ville forte, partaient de village en village leurs dieux dans des coffres, sur des charrettes traînées par des bœufs ou par des ânes, ou sur le dos des chameaux, ou sur les épaules des hommes. Quelquefois leur autel était une pierre, un arbre, une pique.
    Les Iduméens, les peuples de l’Arabie Pétrée, les Arabes du désert de Syrie,
    quelques Sabéens, portaient dans des cassettes les représentations grossières d’une
    étoile.
    Les Juifs, très-longtemps avant de s’emparer de Jérusalem, eurent le malheur
    de porter sur une charrette l’idole du dieu Moloch, et d’autres idoles dans le
    désert. « Portastis tabernaculum Molovh vestro [Amos, chap. v. v. 26], et imaginem idolorum vestrorum, sidus dvi vestri. qnæ fecistis vobis. »
    ll est dit, dans l’Histoire des juges, qu’un Jonathan, fils de Gersam, fils ainé de
    Moïse fut le prêtre d’une idole portative que la tribu de Dan [Juges, chap. xviii]
    avait dérobée a la tribu d’Éphraïm.
    Les petits peuples n’avaient donc que des dieux de campagne, s’il est permis de
    se servir de ce mot, tandis que les grandes nations s’étaient signalées depuis plusieurs siècles par des temples magnifiques. Hérodote vit l’ancien temple de Tyr, qui était bâti douze cents ans avant celui de Salomon. Les temples d’Egypte étaient
    beaucoup plus anciens, Platon, qui voyagea longtemps dans ce pays, parle de leurs
    statues qui avaient dix mille ans d’antiquité, ainsi que nous l’avons déjà remarqué
    ailleurs, sans pouvoir trouver de raisons dans les livres profanes, ni pour le nier,
    ni pour le croire.
    Voici les propres paroles de Platon, au second livre des Lois : « Si on veut y
    faire attention, on trouvera en Égypte des ouvrages de peinture et de sculpture,
    faits depuis dix mille ans, qui ne sont pas moins beaux que ceux d’aujourd’hui,
    et qui furent exécutés précisément suivant les même règles. Quand je dis dix mille
    ans, ce n’est pas une façon de parler, c’est dans la vérité la plus exacte. »
    Ce passage de Platon, qui ne surprit personne en Grèce, ne doit pas nous
    étonner aujourd’hui. On sait que l’Égypte a des monuments de sculpture et de
    peinture qui durent depuis quatre mille ans au moins ; et dans un climat si sec et
    si égal, ce qui a subsisté quarante siècles en peut subsister cent, humainement
    parlant.
    Les chrétiens, qui, dans les premiers temps, étaient des hommes simples,
    retirés de la foule, ennemis des richesses et du tumulte, des espèces de thérapeutes, d’esséniens, de caraïtes, de brachmanes (si on peut comparer le saint au profane) ; les chrétiens, dis-je, n’eurent ni temples ni autels pendant plus de cent
    quatre-vingts ans. Ils avaient en horreur l’eau lustrale, l’encens, les cierges, les
    processions, les habits pontificaux. Ils n’adoptèrent ces rites des nations, ne les
    épurèrent, et ne les sanctifièrent, qu’avec le temps. « Nous sommes partout, excepté
    dans les temples », dit Tertullien. Athénagore, Origène, Tatien, Théophile, déclarent
    qu’il ne faut point de temple aux chrétiens. Mais celui de tous qui en rend raison