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33-2 I.HTTRl- : DI- M. DK VOl.TAinK

amour continuel qui est toujours la l)ase du peu de tragédies que nous avons de lui, excepté dans Esther et dans AthaUc. Il est beau, sans doute, à une dame de réprouver cette passion universelle qui lait régner son sexe ; mais qu’elle examine cette BiTcnicc tant conilaninée par nous-mêmes pour n’être qu’une idylle amoureuse ; (juc \o principal personnage de cette idylle soit ropi’ésont*’ ])ar une actrice telle que M"" (laussin : alors je réponds (pie M"’^ Montagne versera des larmes. J’ai vu le roi de Prusse attendri à une simple lecture de Bhxtikc, qu’on faisait devant lui en prononçant les vers comme on doit les prononcer, ce qui est bien rare. Quel charme tira des larmes des yeux de ce héros philosophe ? I.a seule magie du style de ce vrai poëte, qui invenit verba quibiis dcbèrent loqni.

Les censures de réflexion n’ôtent jamais le plaisir du sentiment. Que la sévérité blâme Racine tant qu’elle voudra, le cœur vous ramènera toujours à ses pièces. Ceux qui connaissent les difficultés extrêmes et la délicatesse de la langue française voudront toujours lire et entendre les vers de cet homme inimitable, à qui le nom de grand n’a manqué que parce qu’il n’avait point de frère dont il fallût le distinguer \ Si on lui reproclie d’être le poète de l’amour, il faut donc condamner le quatrième livre de ïlùU’ide. On ne trouve pas quelquefois assez de force dans ses caractères et dans son style ; c’est ce qu’on a dit de Virgile ; mais on admire dans l’un et dans l’autre une élégance continue,

M""= Montagne s’eftbrcc d’être touchée des beautés d’Euripide, pour tâcher d’être insensible aux perfections de Racine, Je la plaindrais beaucoup, si elle avait le malheur de ne pas pleurer au rôle inimitable de la Phèdre française, et de n’être pas hors d’elle-même à toute la tragédie d’Iplilgènic. Elle paraît estimer beaucoup Brumoy, parce que Brumoy, en qualité de traducteur d’Euripide, semble donner au poëte grec la préférence sur le por’te français. Mais si elle savait que Brumoy traduit le grec très-infidèlement ; si elle savait que Vous y serez, ma fille-, n’est pas dans Euripide ; si elle savait que Clytemnestre embrasse les genoux d’Achille dans la jiièce grecque, comme dans la française (quoique Brumoy ose supposer le contraire) ; enfin, si son oreille

1. Voltaire avait dit en 17G4, dans son Commentaire sur Corneille, que le nom de f/rand fut donné a. P, Corneille, non-seulement pour le distinguer de son frère, mais du reste des hommes. (B.)

2. Hémistiche de l’Iphigénie de Racine, acte II, scène ii. (B,) — Euripide dit : « Vous y serez, près do l’autel, » (G. A.)