Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/439

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Enfin j’en ai senti la triste insuffisance…
Le ciel, je le vois trop, met au fond de nos cœurs
Un sentiment secret au-dessus des grandeurs :
Je l’éprouve, et mon âme est assez forte encore
Pour dédaigner l’éclat que le vulgaire adore.
Je puis également, m’étant bien consulté,
Vivre et mourir au trône, ou dans l’obscurité…
   Pour un fils que j’aimais ma prodigue tendresse
Me faisait espérer qu’aux jours de ma vieillesse
De mon puissant empire il soutiendrait le poids ;
Je le crus digne enfin de vous donner des lois.
Je m’étais abusé : ces erreurs mensongères
Sont le commun partage et des rois et des pères.
C’est peu de les connaître ; il les faut expier…
O mon fils, dans mes bras daigne les oublier !…
(Il tend les bras à Argide, et le fait asseoir à côté de lui.)
Peuples, voilà le roi qu’il vous faut reconnaître :
Je crois tout réparé, je le fais votre maître.
Oui, mon fils, j’ai connu que, dans ce triste jour,
La vertu l’emportait sur le plus tendre amour.
Tu méritais Ydace, ainsi que ma couronne…
Jouis de toutes deux : ton père te les donne.
   Prêtresse de Cérès, allumez les flambeaux
Qui doivent éclairer des triomphes si beaux ;
Relevez vos autels, célébrez vos mystères,
Que j’ai crus trop longtemps à mon pouvoir contraires.
Apprenez à ce peuple à remplir à la fois
Ce qu’il doit à ses dieux, ce qu’il doit à ses rois…[1]
   Toi, généreux guerrier, toi, le père d’Ydace
Puisses-tu voir ton sang renaître dans ma race !…
Sers de père à mon fils, rends-moi ton amitié ;
Pardonne au souverain qui t’avait oublié ;
Pardonne à ces grandeurs dont le ciel me délivre :
Le prince a disparu ; l’homme commence à vivre.

YDACE, à la prêtresse.

O dieux !

ÉGESTE.

Quel changement !

  1. Racine a dit dans Athalie, acte II, scène iv :
    Et qu'il rend à la fois
    Ce qu'il doit à son dieu, ce qu'il doit à ses rois.